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L’ÂNE.

Qu’on voit, jetant au loin sa lueur aux cerveaux,
Flamboyer au-dessus de tous vos noirs travaux,
Comme la cheminée énorme de l’usine ;
Toute cette raison que l’homme emmagasine,
Étageant grecs sur juifs, juifs sur égyptiens ;
Ces volumes nouveaux ajoutés aux anciens
Que le temps sur le tas vient vider par hottées,
Ces Pascals, ces Longins, ces Jobs, ces Timothées,
Doux, sévères, touchants, mystérieux, railleurs,
Qu’est-ce si tout cela ne vous rend pas meilleurs ?
Par mon échine illustre et semblable aux coulées
De laves du Gibel âpres et dentelées,
Par les traductions du vieux père Brumoy,
Par l’honneur que m’a fait Christ en montant sur moi
Comme si l’âne était un degré de Calvaire,
Je le jure devant l’aube et la primevère,
Devant la fleur, devant la source et le ravin,
Digne Kant, je suis prêt à proclamer divin,
Vénérable, excellent, et j’admire et j’accepte
L’enseignement duquel on sortirait inepte,
Ignare, aveugle, sourd, buse, idiot ; mais bon.

Mais apprends par cœur Jove, Ughel et Casaubon,
Baronius, Ibas d’Edesse, Théétête ;
Médie Boctoner à fond ; romps-toi la tête
Au sens qu’Eunapius donne à tel ou tel mot ;
Va de l’abbé Tudesche au cardinal Cramaud ;
Nourris-toi de Bohier, vieille prose bourrue ;
Dévore Ammirato, Walinge, Pellagrue ;
Vide résolument jusqu’à la lie et bois
André Schott, Sylvius autrement dit Dubois,
Massillon qui pérore et Fléchier qui harangue,
Docte Kant, je consens à fourbir de ma langue
Tous ces volumes, ceux qui sont noirs d’encre, et ceux
Qui sont tachés de sang, et ceux qui sont crasseux,
Y compris les fermoirs, la basane et les cuivres,
Si tu te sens, après avoir lu tous ces livres,