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COLÈRE DE LA BÊTE.

Taillés en marbre jaune et juchés sur des cippes,
Et, j’en conviens, on a le vertige en voyant
Ce sombre alignement de livres, effrayant,
Inouï, se perdant sous les bahuts qui tremblent,
Ces vastes rendez-vous de volumes, qui semblent
Les légions du faux et du vrai s’avançant
En bon ordre, sous l’œil trouble du temps présent,
Pour se livrer combat au fond des hypogées,
Et de l’esprit humain les batailles rangées ;
Certes, j’admets que vous, les hommes, soyez vains
De cet entassement épique d’écrivains,
De tous ces papyrus et de toutes ces bibles ;
C’est beau de voir Saumaise, agitant ses vieux cribles,
Tamiser ces monceaux d’esprit sur les pavés ;
C’est beau d’avoir l’Exode avec des bois gravés
Par Alde de Venise ou Windelin de Spire ;
Je conviens qu’on retient son souffle et qu’on respire
À peine quand on voit, dans vos doctes hangars,
Les tombes frissonner sous les piocheurs hagards ;
C’est beau de pouvoir dire : Admirez les estampes ;
Ici Virgile avec un laurier sur les tempes,
Là Chapelain avec plus de laurier encor ;
Voici des manuscrits étalant sur fond d’or
Mainte arabesque pure, inextricable et nette
À rendre Goujon pâle et jaloux Biscornette ;
Çà, c’est Newton ; voyez quel beau Félibien !
Voici le grand, voici le vrai, voici le bien ;
Barmne est là pour ses Lois, saint Thomas pour sa Somme,
Platon pour son Timée ; et l’on comprend que l’homme
Fasse la roue avec tous ses livres au dos ;
Mais, ô dignes humains pris sous tant de bandeaux,
Ce profond répertoire où la doctrine abonde,
Ce sombre cabinet de lecture du monde,
Tous ces textes, qui font le silence autour d’eux,
Depuis l’infortiat jusqu’à l’in-trente-deux,
Et d’où l’odeur des ans et des peuples s’exhale,
Cette bibliopole auguste et colossale