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L’ÂNE.

Que sais-tu du parfum ? que sais-tu du tonnerre ?
Peux-tu guérir l’abcès du volcan poitrinaire ?
Qu’est-ce que tes savants t’apprennent ? Turrien,
Qui te dira le nom du vent en syrien,
Sait-il son envergure et son itinéraire ?
La mamelle de l’ombre est là ; peux-tu la traire ?
Abundius qui fut diacre d’Anicetus
Sait-il quel ouvrier peint en bleu le lotus ?
Balœus, Surius, Pitsœus et Cédrène
Savent-ils pourquoi l’aube en larmes est sereine ?
L’abbé Poulle ose-t-il en face regarder
L’énigme qu’on entend gémir, chanter, gronder ?
As-tu lu dans Lactance ou bien dans Éleuthère
Quelle est la fonction du diamant sous terre ?
Sais-tu par dom Poirier ou par monsieur Lejay
De quelle flamme l’œil des condors est forgé,
Et maître Calepin dit-il dans son glossaire
Où se trempe l’acier dont est faite leur serre ?
Saint Thomas connaît-il tous ces noirs ixions
Qu’on nomme affinités, forces, attractions ?
Nicole, qui sait tout, sait-il par quel organe
L’été tire à jamais à lui la salangane,
Et, vainqueur, fait passer la mer au passereau ?
Homme, sais-tu comment l’eau nourrit le sureau ?
Connais-tu l’hydre orage et le monstre tempête
Qui naît dans le jardin des cieux, dresse la tête,
Glisse et rampe à travers les nuages mouvants,
Et qui flaire la rose effrayante des vents ?
Qu’as-tu trouvé ? Devant l’évolution sainte
De la vie, admirable et divin labyrinthe,
Ta vue est myopie et ton âme est stupeur.

Vois, ce monde est d’abord un noyau de vapeur
Qui tourne comme un globe énorme de fumée ;
Vaste, il bout au soleil qui luit, braise enflammée ;
Il bout, puis s’attiédit et se condense, et l’eau
Tombe au centre du large et ténébreux halo ;

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