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L’ÂNE.

Livres ! qui, compulsés, adorés, vermoulus,
Sans cesse envahissant l’homme de plus en plus,
De la table des temps épuisez les rallonges,
D’où sortent des lueurs, des visions, des songes,
Et des mains que les morts mettent sur les vivants,
Codes des sanhédrins, oracles des divans,
Textes graves, ardus, austères, difficiles,
Appendices fameux des siècles, codicilles
Du testament de l’homme à chaque âge récrit,
Dont le vélin fait peur quand le temps le flétrit,
Comme si l’on voyait vieillissante et ridée
La face vénérable et chaste de l’idée ;
Vous qui faites, sous l’œil du chercheur feuilletant,
Un bruit si solennel qu’il semble qu’on entend
Le grand chuchotement de l’Inconnu dans l’ombre,
Volumes sacro-saints que l’institut dénombre,
Qui jusqu’en Chine allez emplir de vos rayons
Ce collège appelé Forêt-de-Crayons,
Résidus de l’effort terrestre, où s’accumule
Le chiffre dont le sphinx compose la formule,
Des hommes lumineux prodigieux produit,
Oh ! comme vous m’avez obscurci, moi la nuit !
Oh ! comme vous m’avez embêté, moi la bête !

Quel délire m’a pris d’aller sur votre faîte
Brouter l’ortie humaine, hélas, et de tenter
Votre viol funèbre, et de vous convoiter,
Livres qui pour consigne avez cette sentence :
— Garder Isis ; tenir les brutes à distance, —
Qui défendez, afin que tout reste normal,
Le passage sacré de l’homme à l’animal,
Ô phédons, ô talmuds, ô korans, dont les piles
Du sombre esprit humain gardent les Thermopyles !

Ô volumes, j’ai fait le grand noviciat ;
Je suis plus lourd qu’Accurse et plus sain qu’Alciat ;
Triste, j’ai digéré la docte baliverne ;