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RELIGIONS ET RELIGION.

Qu’après avoir vomi, lugubre, elle engloutisse ;
Et n’ait pour résultat, en souffrant, en créant,
Que de donner un peu de vermine au néant ;
Qu’il ne soit pas prouvé que cette terre, en somme,
Sent la démangeaison de la vie et de l’homme ;
Qu’il ne soit nulle part d’idéal, ni de loi ;
Que tout soit sans réponse et demande pourquoi ;
Que l’être, en supposant que l’abîme livide
Ne nous recrache pas ce mot sinistre et vide,
Se résolve, au milieu d’un vain frisson qui fuit,
En un fourmillement aveugle dans la nuit ;
Que le fond noir de tout rampe, et soit quelque chose
Qui ne sait pas, qui luit sans jour, qui va sans cause,
Un hideux bloc abstrait, pas même une prison,
Une espèce de mort énorme, sans raison
Pour entrer dans la nuit, pour sortir de la tombe,
Un vague tournoiement de poussière qui tombe… —
Quoi ! lorsqu’on s’est aimé, pleurs et cris superflus,
Ne jamais se revoir, jamais, jamais ! ne plus
Se donner rendez-vous au delà de la vie !
Quoi ! la petite tête éblouie et ravie,
L’enfant qui souriait et qui s’en est allé,
Mères, c’est de la nuit ! cela s’est envolé !
Quoi ! toi que j’aime, toi qui me fais de l’aurore,
Femme par qui je sens en moi l’archange éclore,
Quoi ! le néant rira quand, pâle, je dirai :
— Attends-moi, je te suis, je viens, être adoré !
Prépare-moi ma place en ton lit solitaire ! ―
Quoi ! le seul lieu qu’on ait besoin d’aimer sur terre
Et de sentir vivant, le tombeau, serait mort !
En présence des cieux, quoi ! l’espérance a tort !
Le deuil qui tord mon cœur en exprime un mensonge !
Pas d’avenir ! un vide où l’œil égaré plonge !
Fosse en la profondeur, linceul sur la hauteur !
Pour mouvement la vie et la mort pour moteur !
La cécité, tournant sans but sur elle-même,
Engendre la lumière, imposture suprême ;