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RIEN.


Oui, c’est vrai, plus de fourche au poing de Lucifer,
Plus d’éternel bûcher flamboyant, plus d’enfer.

Mais l’atome Attila, fatal, irresponsable,
Comme l’atome feu, comme l’atome sable,
Innocent, ne pouvant pas plus être accusé
Pour un peuple aboli, pour un monde écrasé
Que l’un d’éboulement et l’autre d’incendie ;
Que Job racle sa plaie et qu’Homère mendie,
Trimalcion les vaut, faisant un bon repas ;
Marc-Aurèle ? À quoi bon ? Tibère ? Pourquoi pas ?
Néron, Trajan, ce n’est qu’une forme qui flotte ;
Ce que vous nommez czar, tyran, bourreau, despote,
Mange de l’homme ainsi que vous mangez du pain ;
Après ? Pour le grand tout, qui vous permet la faim,
Un grain de blé mûr pèse autant que Caton libre ;
Tout rentre dans l’immense et tranquille équilibre
Dès que le pain est mort et l’homme digéré.
Demain le dévorant sera le dévoré ;
L’atome qui fut aigle, éperdu, fuira l’aile
De l’atome qui fut colombe ou tourterelle ;
Les transformations du gouffre écraseront,
Roi, ce qui fut ton pied sous ce qui fut mon front ;
L’agneau devenu loup teindra de sang sa griffe,
Et ce sera le tour de Christ d’être Caïphe,
Sans même que ce soit revanche et châtiment,
Nul n’ayant conscience en dehors du moment,
Le fil étant rompu d’un avatar à l’autre.
Qu’appelez-vous faux, vrai, droit ou devoir ? L’apôtre,
Le bourreau, le héros, le traître, tout est vain.

Oh ! que rien ne soit plus bon, grand, sacré, divin ;
Que tout soit le hasard, l’ébauche, le décombre,
L’éclosion du pou dans les cheveux de l’ombre ;
Que la création, ivre d’obscurité,
Soit idiote, et n’ait à son extrémité
Rien qu’on puisse nommer amour, raison, justice ;