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LA PITIÉ SUPRÊME.

VIII

Les maudits ont besoin de têtes inclinées
Sur eux, sur leur mystère et sur leurs destinées ;
Un regard sans courroux leur semble une faveur ;
Et qui se penchera si ce n’est le rêveur ?
Qui leur prodiguera la bonté vénérable ?
Qui donc ramassera le morceau misérable
Du czar doré jadis, du roi fleurdelysé ?
Qui donc aura souci du vieux césar brisé ?
Dans ce monde où l’histoire affreuse n’illumine
Que des fourmillements de tombe et de vermine,
Qui donc consolera ? qui donc, si ce n’est lui,
Sera l’auguste Job des opprobres d’autrui ?
Attendri sur l’effet par l’énigme des causes,
Ayant devant l’esprit l’obscurité des choses,
Il se couchera, grave, indulgent, attristé,
Sur ce vaste fumier qu’on nomme humanité,
Et, des abjections compagnon volontaire,
Voyant la tyrannie et le tyran à terre,
Pour racler cet ulcère il prendra ce tesson.
Oh ! plaindre, c’est déjà comprendre. L’horizon
Montre à l’œil moins sévère une aube moins confuse ;
La grande vérité sort de la grande excuse.
Retirez l’anathème, une lueur paraît.
Veilleur fiévreux, chercheur du suprême secret,
En vigie au plus haut de la noire mâture,
Le penseur, attentif à toute la nature,
Comparant l’élément et le destin, confond
Dans le même regard surhumain et profond
Les souffles, les hasards, le colosse, la mouche,
Le monstre qui s’éveille et l’astre qui se couche,