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Non, les vices hideux, les trahisons, les crimes, Comme les dévouements et les vertus sublimes, Portent un témoignage intègre et souverain. Les actions qu’on fait ont des lèvres d’airain.

VI

Que sur ton atelier, maître, un rayon demeure ! Là, le silence, l’art, l’étude oubliant l’heure, Dans l’ombre les essais que tu répudias, D’un côté Jean Goujon, de l’autre Phidias, Des pierres, de pensée à demi revêtues, Un tumulte muet d’immobiles statues, Les bustes méditant dans les coins assombris, Je ne sais quelle paix qui tombe des lambris, Tout est grand, tout est beau, tout charme et tout domine. Toi qu’à l’intérieur l’art divin illumine, Tu regardes passer, grave et sans dire un mot, Dans ton âme tranquille où le jour vient d’en haut, Tous les nobles aspects de la figure humaine. Comme dans une église à pas lents se promène Un grand peuple pensif auquel un dieu sourit, Ces fantômes sereins marchent dans ton esprit. Ils errent à travers tes rêves poétiques Faits d’ombres et de lueurs et de vagues portiques, Parfois palais vermeil, parfois tombeau dormant, Secrète architecture, immense entassement, Qui, jetant des rumeurs joyeuses ou plaintives, De ta grande pensée emplit les perspectives. Car l’antique Babel n’est pas morte, et revit Sous le front des songeurs. Dans ta tête, ô David ! La spirale se tord, le pilier se projette ; Et dans l’obscurité de ton cerveau végète La profonde forêt, qu’on ne voit point ailleurs, Des chapiteaux touffus pleins d’oiseaux et de fleurs.