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Pourvu que toutefois la muse soit un homme !
Car tu te roidiras dans ton étrange orgueil
Si l’on t’apporte, un soir, quelque musique en deuil,
Urne que la pensée a chauffée à sa flamme,
Beau vase où s’est versé tout le cœur d’une femme.

O seigneur malvenu de ce superbe lieu !
Caillou vil incrusté dans ces rubis en feu !
Maître pour qui ces champs sont pleins de sourdes haines !
Gui parasite enflé de la sève des chênes !
Pauvre riche ! — Vis donc, puisque cela pour toi
C’est vivre. Vis sans cœur, sans pensée et sans foi.
Vis pour l’or, chose vile, et l’orgueil, chose vaine.
Végète, toi qui n’as que du sang dans la veine,

Toi qui ne sens pas Dieu frémir dans le roseau,
Regarder dans l’aurore et chanter dans l’oiseau !

Car, — et bien que tu sois celui qui rit aux belles
Et, le soir, se récrie aux romances nouvelles, —
Dans les coteaux penchants où fument les hameaux,
Près des lacs, près des fleurs, sous les larges rameaux,
Dans tes propres jardins, tu vas aussi stupide,
Aussi peu clairvoyant dans ton instinct cupide,
Aussi sourd à la vie, à l’harmonie, aux voix,
Qu’un loup sauvage errant au milieu des grands bois !


22 mai 1837