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XIII


Il n’avait pas vingt ans. Il avait abusé
De tout ce qui peut être aimé, souillé, brisé.
Il avait tout terni sous ses mains effrontées.
Les blêmes voluptés sur sa trace ameutées
Sortaient, pour l’appeler, de leur repaire impur
Quand son ombre passait à l’angle de leur mur.
Sa sève nuit et jour s’épuisait aux orgies
Comme la cire ardente aux mèches des bougies.
Chassant l’été, l’hiver il posait au hasard
Son coude à l’Opéra sur Gluck ou sur Mozart.
Jamais il ne trempait sa tête dans ces ondes
Qu’Homère et que Shakspeare épanchent si profondes.
Il ne croyait à rien ; jamais il ne rêvait ;
Le bâillement hideux siégeait à son chevet ;
Toujours son ironie, inféconde et morose,
Jappait sur les talons de quelque grande chose ;
Il se faisait de tout le centre et le milieu ;
Il achetait l’amour, il aurait vendu Dieu.
La nature, la mer, le ciel bleu, les étoiles,
Tous ces vents pour qui l’âme a toujours quelques voiles,
N’avaient rien dont son cœur fût dans l’ombre inquiet.
Il n’aimait pas les champs. Sa mère l’ennuyait.
Enfin, ivre, énervé, ne sachant plus que faire,
Sans haine, sans amour, et toujours, ô misère !
Avant la fin du jour blasé du lendemain,
Un soir qu’un pistolet se trouva sous sa main,
Il rejeta son âme au ciel, voûte fatale,
Comme le fond du verre au plafond de la salle !

Jeune homme, tu fus lâche, imbécile et méchant.
Nous ne te plaindrons pas. Lorsque le soc tranchant
A passé, donne-t-on une larme à l’ivraie ?