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XII

À CANARIS.

D’où vient que ma pensée encor revole à toi,
Grec illustre à qui nul ne songe, excepté moi ?
D’où vient que me voilà, seul et dans la nuit noire,
Grave et triste, essayant de redorer ta gloire ?
Tandis que là, dehors, cent rhéteurs furieux
Grimpent sur des tréteaux pour attirer les yeux,
D’où vient que c’est vers toi que mon esprit retourne,
Vers toi sur qui l’oubli s’enracine et séjourne ?
C’est que tu fus tranquille et grand sous les lauriers.
Nous autres qui chantons, nous aimons les guerriers,
Comme sans doute aussi vous aimez les poëtes.
Car ce que nous chantons vient de ce que vous faites !
Car le héros est fort et le poëte est saint !
Les poëtes profonds qu’aucun souffle n’éteint
Sont pareils au volcan de la Sicile blonde
Que tes regards sans doute ont vu fumer sur l’onde ;
Comme le haut Etna, flamboyant et fécond,
Ils ont la lave au cœur et l’épi sur le front !

Et puis, ce fut toujours un instinct de mon âme ;
Quand ce chaos mêlé de fumée et de flamme,
Quand ce grand tourbillon, par Dieu même conduit,
Qui nous emporte tous au jour ou dans la nuit,
A passé sur le front des héros et des sages,
Comme après la tempête on court sur les rivages,
Moi je vais ramasser ceux qu’il jette dehors,
Ceux qui sont oubliés comme ceux qui sont morts !

Va, ne regrette rien. Ta part est la meilleure.
Vieillir dans ce Paris qui querelle et qui pleure
Et qui chante ébloui par mille visions