Ces tronçons déchirés, épars, près d’épuiser
Leurs forces languissantes,
Se cherchaient, se cherchaient, comme pour un baiser
Deux bouches frémissantes !
Et comme je rêvais, triste et suppliant Dieu
Dans ma pitié muette,
La tête aux mille dents rouvrit son œil de feu,
Et me dit : « Ô poëte !
« Ne plains que toi ! ton mal est plus envenimé,
Ta plaie est plus cruelle ;
Car ton Albaydé dans la tombe a fermé
Ses beaux yeux de gazelle.
« Ce coup de hache aussi brise ton jeune essor.
Ta vie et tes pensées
Autour d’un souvenir, chaste et dernier trésor,
Se traînent dispersées.
« Ton génie au vol large, éclatant, gracieux,
Qui, mieux que l’hirondelle,
Tantôt rasait la terre et tantôt dans les cieux
Donnait de grands coups d’aile,
« Comme moi maintenant, meurt près des flots troublés ;
Et ses forces s’éteignent,
Sans pouvoir réunir ses tronçons mutilés
Qui rampent et qui saignent. »