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Oui, frémis, ma charmante épouse,
Ignorant mon malheur, hélas ! si dès demain
Tu suis un chœur joyeux sur l’humide pelouse,
Un autre s’offrira pour te donner la main ;
Un autre ici viendra voir, à l’aube naissante,
Flotter à plis d’azur ton voile transparent ;
Un autre devant toi, déité bienfaisante,
Amènera l’aveugle errant.

Un autre te suivra dans tes songes paisibles ;
le soir, il remplira, tranquille à tes genoux,
Ces momens d’entretien qu’un soupir rend pénibles,
Mais qu’un sourire rend si doux,
Lorsque enfin, infidèle, aura fui ma colombe,
Sitôt que mes fleurs vont jaunir,
Quand de ton Raymond dans la tombe
Rien ne te restera, pas même un souvenir ;
Alors, oui, tu verras, rougissante, étonnée,
Un plus heureux hâter ton réveil matinal,
Et, saisissant ta main dans sa main fortunée,
Te conduire au lieu saint, non loin du lieu fatal,
Hélas ! où dormira ma cendre abandonnée ;
Et puis, il cachera ton bandeau virginal
Sous la couronne d’hyménée.

Un autre !… ô douleur ! ô tourment !
Je t’aimais sans délire, et je t’aime avec rage !…
Mon Emma, songe à moi ; respecte ton serment…
Hélas ! brûle ces vers, déchire ce message :
Un autre ne doit pas, fille innocente et sage,
Connaître ton premier amant.
Il ne faut pas qu’un jour un despote farouche,
Le soupçon dans les yeux, le reproche à la bouche,
Vienne blesser ton chaste orgueil ;
Jaloux, désespéré, cet époux que j’abhorre
Ne doit pas éprouver le feu qui me dévore…
Mais est-on jaloux d’un cercueil ?

Quoi ! j’aurais pu, comme un long rêve,
Voir, couché sur ton sein, mes jours fuir sans douleur !
À