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ACHÉMÉNIDE[1]


Interea fessos ventus cum sole reliquit, etc.
Énéïde Liv. III.


Le jour meurt : l’aquilon s’endort au sein des nues,
Nous abordons d’Enna les rives inconnues ;
Un grand port loin des vents nous offrait ses abris,
Mais l’Etna sur ces bords vomit d’affreux débris.
Tantôt s’ouvre en tonnant son immense cratère,
De longs torrents de cendre il inonde la terre ;
Tantôt ses rocs aux cieux roulent en tourbillons,
Tombent, et sur ses flancs tracent d’ardents sillons ;
Le gouffre en feu mugit : sous sa voûte qui fume,
La lave enfle en grondant ses flots noirs de bitume.

  Encelade, dit-on, sous ces rocs obscurcis
Cache ses vastes flancs, que la foudre a noircis ;
Le poids du mont l’écrase, et sa brûlante haleine
Chasse au loin les rochers qu’il soulève avec peine :
Si, las de ses douleurs, il retourne son corps,
Le ciel fume, et l’Etna tremble de ses efforts.

  Effrayés de ce bruit, sans le comprendre encore,
Tremblants, dans les forêts nous attendons l’aurore.
La nuit qui règne aux cieux, ce fracas plein d’horreur,
Ce prodige, en nos sens tout verse la terreur.
Des nuages obscurs nous cachent les étoiles,
Et la lune pâlit en roulant sous leurs voiles.

  L’Olympe enfin se dore : effacée à son tour,
L’ombre humide s’enfuit devant l’astre du jour.
Soudain, hors des forêts, une ombre à face humaine,
Pâle, les bras tendus, vers la plage se traîne :
Ses cheveux hérissés, son front sombre et maigri,
Tout annonce un mortel par le malheur flétri.
Son corps faible est couvert de joncs tressés d’épine ;
Mais c’est un Grec, de Troie il hâta la ruine.

  1. Publié dans le Conservateur littéraire et dans Victor Hugo raconté.