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autrement. Si nous réussissons, tant mieux ; si nous échouons, qu’importe ?

Il existe certaines eaux qui, si vous y plongez une fleur, un fruit, un oiseau, ne vous les rendent, au bout de quelque temps, que revêtus d’une épaisse croûte de pierre, sous laquelle on devine encore, il est vrai, leur forme primitive, mais le parfum, la saveur, la vie, ont disparu. Les pédantesques enseignements, les préjugés scholastiques, la contagion de la routine, la manie d’imitation, produisent le même effet. Si vous y ensevelissez vos facultés natives, votre imagination, votre pensée, elles n’en sortiront pas. Ce que vous en retirerez conservera bien peut-être quelque apparence d’esprit, de talent, de génie, mais ce sera pétrifié.

À entendre des écrivains qui se proclament classiques, celui-là s’écarte de la route du vrai et du beau qui ne suit pas servilement les vestiges que d’autres y ont imprimés avant lui. Erreur ! ces écrivains confondent la routine avec l’art ; ils prennent l’ornière pour le chemin.

Le poëte ne doit avoir qu’un modèle, la nature ; qu’un guide, la vérité. Il ne doit pas écrire avec ce qui a été écrit, mais avec son âme et avec son cœur. De tous les livres qui circulent entre les mains des hommes, deux seuls doivent être étudiés par lui, Homère et la Bible. C’est que ces deux livres vénérables, les premiers de tous par leur date et par leur valeur, presque aussi anciens que le monde, sont eux-mêmes deux mondes pour la pensée. On y retrouve en quelque sorte la création tout entière considérée sous son double aspect, dans Homère par le génie de l’homme, dans la Bible par l’esprit de Dieu.


Août 1826