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Il est bien entendu que la liberté ne doit jamais être l’anarchie ; que l’originalité ne peut en aucun cas servir de prétexte à l’incorrection. Dans une œuvre littéraire, l’exécution doit être d’autant plus irréprochable que la conception est plus hardie. Si vous voulez avoir raison autrement que les autres, vous devez avoir dix fois raison. Plus on dédaigne la rhétorique, plus il sied de respecter la grammaire. On ne doit détrôner Aristote que pour faire régner Vaugelas, et il faut aimer l’Art poétique de Boileau, sinon pour les préceptes, du moins pour le style. Un écrivain qui a quelque souci de la postérité cherchera sans cesse à purifier sa diction, sans effacer toutefois le caractère particulier par lequel son expression révèle l’individualité de son esprit. Le néologisme n’est d’ailleurs qu’une triste ressource pour l’impuissance. Des fautes de langue ne rendront jamais une pensée, et le style est comme le cristal : sa pureté fait son éclat.

L’auteur de ce recueil développera peut-être ailleurs tout ce qui n’est ici qu’indiqué. Qu’il lui soit permis de déclarer, avant de terminer, que l’esprit d’imitation, recommandé par d’autres comme le salut des écoles, lui a toujours paru le fléau de l’art, et il ne condamnerait pas moins l’imitation qui s’attache aux écrivains dits romantiques que celle dont on poursuit les auteurs dits classiques. Celui qui imite un poëte romantique devient nécessairement un classique, puisqu’il imite[1]. Que vous soyez l’écho de Racine ou le reflet de Shakespeare, vous n’êtes toujours qu’un écho et qu’un reflet. Quand vous viendriez à bout de calquer exactement un homme de génie, il vous manquera toujours son originalité, c’est-à-dire son génie. Admirons les grands maîtres, ne les imitons pas. Faisons

  1. Ces mots sont employés ici dans l’acception à demi comprise, bien que non définie, qu’on leur donne le plus généralement. (Note de l’édition de 1826.)