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LES DEUX ARCHERS.

Puis ils vinrent s’asseoir, en déposant leur cor,
Sur un saint de granit, dont l’image grossière,
Les mains jointes, le front couché dans la poussière,
Avait l’air de prier encor.

Cependant sur la tour, les monts, les bois antiques,
L’ardent foyer jetait des clartés fantastiques ;
Les hiboux s’effrayaient au fond des vieux manoirs ;
Et les chauves-souris, que tout sabbat réclame,
Volaient, et par moments épouvantaient la flamme
De leur grande aile aux ongles noirs.

Le plus vieux des archers alors dit au plus jeune :
— Portes-tu le cilice ? — Observes-tu le jeûne ?
Reprit l’autre ; et leur rire accompagna leur voix.
D’autres rires de loin tout à coup s’entendirent.
Le val était désert, l’ombre épaisse ; ils se dirent :
— C’est l’écho qui rit dans les bois.

Soudain à leurs regards une lueur rampante
En bleuâtres sillons sur la hauteur serpente ;
Les deux blasphémateurs, hélas ! sans s’effrayer,
Jetèrent au brasier d’autres branches de chênes,
Disant : — C’est, au miroir des cascades prochaines,
Le reflet de notre foyer.

Or cet écho (d’effroi qu’ici chacun s’incline)
C’était Satan riant tout haut sur la colline !
Ce reflet, émané du corps de Lucifer,
C’était le pâle jour qu’il traîne en nos ténèbres,
Le rayon sulfureux qu’en des songes funèbres
Il nous apporte de l’enfer !

Aux profanes éclats de leur coupable joie,
Il était accouru comme un loup vers sa proie ;
Sur les archers dans l’ombre erraient ses yeux ardents.
« Riez et blasphémez dans vos heures oisives.