Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315


BALLADE CINQUIÈME.

LE GÉANT.


Les nuées du ciel elles-mêmes craignent que je ne vienne chercher mes ennemis dans leur sein…
Mottenabi.


Ô guerriers ! je suis né dans le pays des Gaules.
Mes aïeux franchissaient le Rhin comme un ruisseau,
Ma mère me baigna dans la neige des pôles
Tout enfant, et mon père, aux robustes épaules,
De trois grandes peaux d’ours décora mon berceau.

Car mon père était fort ! L’âge à présent l’enchaîne.
De son front tout ridé tombent ses cheveux blancs.
Il est faible ; il est vieux. Sa fin est si prochaine,
Qu’à peine il peut encor déraciner un chêne
Pour soutenir ses pas tremblants !

C’est moi qui le remplace ! et j’ai sa javeline,
Ses bœufs, son arc de fer, ses haches, ses colliers ;
Moi qui peux, succédant au vieillard qui décline,
Les pieds dans le vallon, m’asseoir sur la colline,
Et de mon souffle au loin courber les peupliers.

À peine adolescent, sur les Alpes sauvages,
De rochers en rochers je m’ouvrais des chemins ;
Ma tête ainsi qu’un mont arrêtait les nuages ;
Et souvent, dans les cieux épiant leurs passages,
J’ai pris des aigles dans mes mains.