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D’après le sens littéral de cette explication, il semble que le Paradis perdu serait un poème classique, et la Henriade une œuvre romantique. Il ne paraît pas rigoureusement démontré que les deux mots importés par Mme de Staël soient aujourd’hui compris de cette façon.

En littérature, comme en toute chose, il n’y a que le bon et le mauvais, le beau et le difforme, le vrai et le faux. Or, sans établir ici de comparaisons qui exigeraient des restrictions et des développements, le beau[1] dans Shakespeare est tout aussi classique (si classique signifie digne d’être étudié) que le beau dans Racine ; et le faux dans Voltaire est tout aussi romantique (si romantique veut dire mauvais) que le faux dans Calderon. Ce sont là de ces vérités naïves qui ressemblent plus encore à des pléonasmes qu’à des axiomes ; mais où n’est-on pas obligé de descendre pour convaincre l’entêtement et pour déconcerter la mauvaise foi ?

On objectera peut-être ici que les deux mots de guerre ont depuis quelque temps changé encore d’acception, et que certains critiques sont convenus d’honorer désormais du nom de classique toute production de l’esprit antérieure à notre époque, tandis que la qualification de romantique serait spécialement restreinte à cette littérature qui grandit et se développe avec le dix-neuvième siècle. Avant d’examiner en quoi cette littérature est propre à notre siècle, on demande en quoi elle peut avoir mérité ou encouru une désignation exceptionnelle. Il est reconnu que chaque littérature s’empreint plus ou moins profondément du ciel, des mœurs et de l’histoire du peuple dont elle est l’expression. Il y a donc autant de littératures diverses qu’il y a de sociétés différentes. David, Homère,

  1. Il est inutile de déclarer que cette expression est employée ici dans son étendue. (Note de l’édition de 1824.)