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retrouver le poëte en personne dans les types de ses drames et qui le rendent responsable de tout ce que disent ses personnages, ce qui serait — réduire à un moi lyrique et monocorde le moi multiple et indéfini de l’auteur dramatique ; mais sans faire le poëte solidaire de ses créations, ivrogne à cause de Falstaff, hypocrite à cause de Tartuffe, intrigant à cause dé Figaro, fratricide à cause de Caïn, sans canoniser Corneille à cause de Polyeucte, sans idéaliser Schiller à cause de Posa et sans caricaturer Homère à cause de Thersite, tout en rejetant cette façon commode et puérile de prendre un homme en flagrant délit dans son œuvre, nous pensons qu’on peut parfois voir, par échappées, dans de certaines figures préférées, des lueurs de l’âme même du poëte. On peut à de certains moments dire : Ceci est une étincelle de Plaute. Ceci est un éclair d’Eschyle. L’auteur s’incarne un peu plus dans tel personnage que dans tous les autres. Il est évident, par exemple, que Hamlet est une prédilection pour Shakespeare de même qu’Alceste est une prédilection pour Molière ; et l’on peut affirmer que c’est Shakespeare qui parle quand Hamlet dit : — « Horatio, il y a sur la terre et dans le ciel plus de choses que votre philosophie n’en a rêvé. »

La vaste anxiété de ce qui peut être, telle est la perpétuelle obsession du poëte. Ce qui peut être dans la nature, ce qui peut être dans la destinée ; prodigieuse nuit. Le soir, au crépuscule, du haut d’une falaise, à l’approche refroidissante de la marée qui monte, l’oeil égaré dans tous ces plis de l’obéissance au vent, en bas l’onde, en haut la nuée, le fouet de l’écume dans le visage, pendant que les goélands effarouchés par les ouvertures des vagues battent de l’aile, pendant que les flots accourent pleins du hurlement étouffé des naufrages, regarder l’océan, qu’est-ce auprès de ceci : regarder le possible !

Je pense par instants avec une joie profonde qu’avant douze ou quinze ans d’ici, au plus tard, je saurai ce que c’est que cette ombre, le tombeau, et j’ai une sorte de certitude que mon espoir de clarté ne sera pas trompé. Ô vous que j’aime, ne vous affligez pas de ce cri que je pousse vers l’attente suprême, ne vous attristez pas de cette impatience, car j’ai la foi que c’est dans l’infini qu’est le grand rendez-vous. Je vous y retrouverai sublimes et vous m’y reverrez meilleur. Et nous nous y aimerons comme sur la terre et en même temps comme au ciel, avec le redoublement mystérieux de l’immensité. La vie n’est qu’une occasion de rencontre ; c’est après la vie qu’est la jonction. Les corps n’ont que l’embrassement, les âmes ont l’étreinte. Vous figurez-vous, ô mes bien-aimés, ce divin baiser de l’azur quand il n’y a plus dans le moi que de la lumière ! La manière dont s’aiment les transfigurés fait partie de ce que nous appelons ici le jour. Leur accouplement est