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POST-SCRIPTUM DE MA VIE.

L’âme a soif de l’absolu, mais c’est là une soif de l’âme qui ne doit pas être une soif de l’homme. L’homme dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire vivant de cette vie momentanée qui n’est que le fantôme de la vie, l’homme appartient au relatif. Qui dit limite, dit rapport et proportion. Contentons-nous donc du relatif, puisque nous sommes limités. Ne cherchons pas l’absolu ici-bas. Nous le trouverons ailleurs. L’absolu n’est pas de ce monde. Il est trop lourd pour cette terre ; il la ferait sortir de son orbite si jamais il venait à peser sur elle.

[1850-1851.]

Il y a deux lois, la loi des globes et la loi de l’espace. La loi des globes, c’est la mort ; la limite exige la destruction. La loi de l’espace, c’est l’éternité ; l’infini permet l’expansion.

Entre les deux mondes, entre les deux lois, il y a un pont, la transformation.

Échapper à la gravitation, c’est échapper à la limite ; échapper à la limite, c’est échapper à la mort.

L’ambition du vivant des globes doit donc être de devenir un vivant de l’espace. Passer de la vie à l’éternité, voilà le but.

[1858-1860.]

L’homme est une frontière. Être double, il marque la limite de deux mondes. En deçà de lui est la création matérielle ; au delà de lui le mystère.

Naître, c’est entrer dans le monde visible ; mourir, c’est entrer dans le monde invisible.

Oh ! de ces deux mondes, lequel est l’ombre ? lequel est la lumière ?

Chose étrange à dire, le monde lumineux, c’est le monde invisible ; le monde lumineux, c’est celui que nous ne voyons pas. Nos yeux de chair ne voient que la nuit.

Oui, la matière, c’est la nuit.

Fixons du moins les yeux de l’âme sur cet immense mystère qui nous attend.

L’homme est sur le bord d’un abîme. Vous tremblez pour le somnambule qui se promène sans le savoir sur la crête d’un toit ; et vous ne tremblez pas pour l’homme qui marche en pensant à autre chose le long de la mort !

Malheur à qui vit l’œil ouvert sur le monde matériel et le dos tourné au monde inconnu !

Août 1851.