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tre à une fille, de donner aux dieux le cœur, le foie et les poumons, et de lui regarder dans les entrailles. Cela fait, la brise soufflera. Iphigénie, stupéfaite et douce, accepte ; la femme est peu comptée en l’an 1200 avant Jésus-Christ. Dans les jeux du chant XXIII de l’Iliade, le premier prix est un trépied ; le second prix est une femme. Iphigénie, en plein égarement de résignation, accoutumée à ce maniement brutal de la femme par les mœurs sauvages, attend, le cou baissé, l’heure où elle sera saisie « comme une chèvre », dit Eschyle, par deux poings dont un tiendra un couteau. Rien de plus âpre, rien de plus logiquement atroce, rien de plus grand dans l’horrible. Du reste nulle difformité. Sujet farouche, personnages fauves. La chose se passe entre lions. Maintenant, avec ce sujet barbare, faites une tragédie pelle. En d’autres termes, manquez de goût. Faites parler à ces hurons grecs le beau style de cour. Remplacez la poésie primitive par la poésie élégante. Qu’au lieu de s’insulter et de s’appeler, comme dans Homère, sac à vin, œil de chien, cœur de cerf, ils se disent : Seigneur, qu’Achille soit marquis, qu’à cette pauvre chèvre Iphigénie on dise : Madame, et, adorable princesse, la dissonance devient monstrueuse, le contraste entre l’action et les personnages révolte, l’intérêt s’évanouit, avec la foi au sujet, on se figure quelque chose comme sa majesté Louis XIV faisant égorger par l’archevêque de Paris Mademoiselle de Blois pour que son Altesse monsieur le Comte de Toulouse, duc et pair d’Anville, reçu amiral de France au parlement de Paris, ait bon vent, et ce qui était formidable en Grèce devient absurde à Versailles. Pourquoi ? tout simplement parce que le traducteur a changé la clef du style. Le goût est une proportion.

A qui la faute ? à Racine ? non certes. Racine, en dehors de l’observation directe et de la poésie immédiate, mérite le rang qu’il a dans le dix-septième siècle, et, s’il s’agit d’orner de tragédies un règne, il est, sans nul doute, l’égal de ces décorateurs magnifiques, Le Nôtre, Mansard et Lebrun, avec quelque chose de moins dans l’invention et de plus dans le sentiment, le style étant le même. La faute est à l’époque, de certains siècles raffinés répugnent aux grandes choses et aux grandes œuvres. Comprenant peu le sublime, ils ne comprennent pas le naïf, Louis XIV qui disait de Téniers : remportez ces magots, trouvait Homère grossier, et interpellait ainsi Fénelon : Monsieur de Cambray, ne pourriez-vous accommoder Homère poliment pour monsieur le duc de Bourgogne ? Fénelon eût pu répondre comme Euclide à Ptolémée demandant qu’on lui rendît la géométrie facile : Il n’y a point d’entrée particulière pour les rois.


Nous venons de dire : la moitié de l’armée grecque était tatouée, et nous savons que cette assertion peut être contestée. Elle a de fortes autorités pour elle. Il ne faut pas oublier qu’Homère est postérieur de trois cents ans aux faits qu’il raconte. Il omet le tatouage, quoiqu’il lui arrive très souvent de faire « de la couleur locale ». Ainsi par exemple, la cavalerie, arme qui existait du temps d’Homère, n’existant pas du temps d’Achille, Homère n’a point mis de cavalerie dans l’Iliade ; les soldats se battent à pied, les héros en char.

L’Iliade est légende, et Homère est légendaire. Pourtant nous sommes de ceux qui croient à Homère, et à un seul Homère. Dans quel temps vivait-