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progrès ! Épaissir le bandeau sur la paupière humaine, masquer le point du jour, faire marcher l’homme du côté des talons, bravo ! J’ai l’honneur de vous présenter le passé, bouchez-vous le nez si vous voulez, mais embrassez-le.

L’utopie de Joseph de Maistre, c’est une augmentation d’échafaud. L’utopie d’Attila, c’est le feu aux quatre coins de la civilisation. L’utopie de Malthus, c’est la dépopulation. L’utopie du militarisme, c’est la caserne. L’utopie du communisme, c’est le couvent. L’inquisition est un vieux tison éteint ; un certain catholicisme littéraire contemporain souffle dessus pour faire reparaître l’étincelle ; l’autodafé est son utopie, et ne pouvant hélas ! brûler les écrivains et les penseurs, ce catholicisme les insulte ; la calomnie est un san-benito ; provisoirement.

Mais vous rêvez, mes bons amis.

Toute tête est grelot ; seulement selon que ce qui est dedans est un appétit ou une idée, une imposture ou un progrès, une terreur ou une vérité, ce qui en sort est son fêlé ou voix divine.

Puisqu’il n’est donné à qui que ce soit d’échapper au rêve, acceptons-le. Tâchons seulement d’avoir le bon. Les hommes haïssent, brutalisent, frappent, mentent ; regardez la première civilisation venue, l’antique comme la moderne, regardez quelque siècle que ce soit, le vôtre comme les autres, vous ne voyez qu’imposteurs, batailleurs, conquérants, brigands, tueurs, bourreaux, méchants, hypocrites ; tout cela somnambule. Laissez-leur leurs acharnements et leurs assouvissements dans leur nuée sanglante. Laissez aux choses violentes et aux choses aveugles leur inutile furie d’ouragan. Les passions de l’homme en tempête, quelle pitié, et pour quel but ! Des simulacres poursuivant des chimères ! Laissez-leur leur rêve, à ces fantômes. Vous, partagez votre pain avec les petits enfants, regardez si personne ne va pieds nus autour de vous, souriez aux mères nourrices sur le seuil des chaumières, promenez-vous sans malveillance dans la nature, n’écrasez point sans savoir pourquoi la fleur de l’herbe, faites grâce aux nids d’oiseaux, penchez-vous de loin sur les peuples et de près sur les pauvres. Levez-vous pour le travail, couchez-vous dans la prière, endormez-vous du côté de l’inconnu, ayez pour oreiller l’infini, aimez, croyez, espérez, vivez, soyez comme celui qui a un arrosoir à la main, seulement que votre arrosoir soit de bonnes œuvres et de bonnes paroles, ne vous découragez jamais, soyez mage et soyez père, et si vous avez des champs, cultivez-les, et si vous avez des fils, élevez-les, et si vous avez des ennemis, bénissez-les, avec cette douce autorité secrète que donne à l’âme la patiente attente des aurores éternelles.

Voilà, certes, des affirmations risquées. Aurore éternelles ! Quelle folie d’écrire un tel mot ! Attendre une vie future ! Où sont les preuves ? où puise-t-on cette assurance ? La persistance du moi, quel mirage ! Foi a un synonyme, duperie. L’immortalité est une marotte. Et là-dessus, tout le groupe sceptique s’épanouit. Je sais de bons nihilistes s’intitulant formellement athées, feu le sénateur Vieillard était du nombre, lesquels font un certain cas de l’intelligence du catholique et du clérical ; il est visible que le clérical ne croit pas un mot de ce qu’il dit, c’est un malin, on l’estime. Mais un philosophe religieux, un pur déiste, celui-là, il n’y a pas chance que ce soit un hypocrite ; que gagne-t-il à ce qu’il croit ? rien ; c’est un imbécile