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pleure, on saigne et on râle, et il ne prend parti ni pour ni contre ! Quoi, de toutes ces douleurs, de tous ces crimes, de tous ces sacrilèges, de toutes ces lamentations, dé toutes ces iniquités, de toutes ces ignominies, de toutes ces détresses, de toutes ces énigmes, de tous ces sanglots, cet esprit extrait un sourire ! il compose d’horreur sa sérénité. Alors à quoi bon cet homme ?

Il n’est qu’importun par sa stature.

Que sert d’être plus grand si l’on n’est pas meilleur ? Regarder de haut sans plaindre accable ceux qu’on regarde. Quoi ! tous souffrent ou font souffrir, et il passe son chemin ! Voir tant de mauvais et tant de méchants, cela doit rendre bon, sinon l’on est le pire. C’est le rapetissement du fort que de ne point servir le faible. Quoi ! nulle intercession, nulle intervention, pas une assistance, pas un conseil ! Le vrai ne le presse donc pas ! Il n’a donc pas de balance ! Il ne se fait donc pas de confrontation dans cette pensée ! le juge instructeur est donc absent de cet homme ! Le mal est là pourtant, qui attend son procès, l’intègre procès de la lumière à la nuit ! Qu’est-ce que c’est que le calme de cet homme ? Quoi ! c’est la sagesse d’ignorer la justice ! quoi, pour conserver l’équilibre, oublier l’équité ! Ah ! quel vide ! Et y a-t-il rien de plus effrayant que de se dire que toute l’intelligence, toute la compréhension, toute la faculté, toute la raison, toute la philosophie, toute la puissance dans une âme humaine, y font le néant !

Non, il n’en est pas ainsi. Et cette déception, l’intelligence n’aimant pas et ne voulant pas, cette déception, qui serait la plus funèbre de toutes, est épargnée au genre humain. Les hautes intelligences apparaissent comme des blancheurs sur l’horizon. La neige, qu’on voit sur ces cimes, ce n’est pas l’indifférence, c’est la conscience.

Les forts aiment ; les puissants veulent ; les grands sont bons. Qu’est-ce que le génie, si ce n’est pas une plus grande ouverture de cœur ?

Les hautes facultés, à leur point de départ comme à leur point culminant, s’attendrissent. Une larme tombe éternellement, goutte à goutte, sur le mystérieux sommet de l’âme humaine.

Le marbre fait génie n’existe pas ; ou, s’il existe, il est monstre.

Non, le grand plaignant, le genre humain, ne crie pas en vain : justice ! du côté des penseurs. Penser est une générosité. Les penseurs regardent autour d’eux ; on souffre ; un surcroît de force leur vient de cet excès de misère ; ils voient, dans ce crépuscule que nous nommons la civilisation, tous ces noirs groupes désespérés ; les penseurs songent ; et les gémissements, les angoisses, les fatalités entrevues en même temps que les douleurs touchées, les tyrannies, les passions, les esclavages, les deuils, les peines, font poindre dans leur esprit ce sublime commencement du génie, la pitié.

Le penseur, poëte ou philosophe, poëte et philosophe, se sent une sorte de paternité immense. La misère universelle est là, gisante ; il lui parle, il la conseille, il l’enseigne, il la console, il la relève ; il lui montre son chemin, il lui rallume son âme. — Vois devant toi, pauvre humanité. Marche ! — Il souffre avec ceux qui