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Cette tragédie pourrait être belle ; cependant elle n’obtiendrait qu’un succès d’estime. Cela tient à ce qu’elle serait froide ; au théâtre un conte d’amour vaut mieux que toute l’histoire.

Campistron a déjà mis le sujet de Phocion sur la scène. Sa pièce, comme toutes celles qu’il a faites, est assez bien conçue et n’est pas mal conduite. Il y a quelque invention dans les caractères, mais il n’a point su les soutenir. C’est ce qui arrive souvent aux gens qui, comme lui, n’ont ni vu ni observé, et qui s’imaginent qu’on fait de l’amour avec des exclamations, et de la vertu avec des maximes.

Ainsi, dans une scène, d’ailleurs assez bien écrite, si l’on admet que le style des tragédies de Voltaire est un bon style, entre le tyran et Phocion, celui-ci, après avoir dit en vrai capitan :



    Un homme tel que moi, loin de s’humilier,
    Conte ce qu’il a fait pour se justifier.
    Ose toi-même ici rappeler mon histoire.
    Elle ne t’offrira que des jours pleins de gloire ;
    Chaque instant est marqué par quelque exploit fameux…

se reprend tout à coup, et il ajoute avec une emphase de modestie aussi ridicule que sa jactance :

    Mais que dis-je ? où m’emporte un mouvement honteux ?
    Est-ce à moi de conter la gloire de ma vie ?
    D’en retracer le cours quand Athènes l’oublie ?
    J’en rougis ; je suis prêt à me désavouer.
    Prononce ; j’aime mieux mourir que me louer.


Et plus loin, Campistron, ne sachant comment faire revenir Phocion mourant sur la scène, s’avise de lui faire demander une entrevue au tyran. Le tyran, très surpris, accorde par pur motif de curiosité ; mais, comme ce ne serait pas le compte de l’auteur de mettre en tête-à-tête deux personnages qui n’ont réellement rien à se dire, au moment d’entretenir Phocion, on vient chercher le tyran pour une révolte. Celui-ci, comme de raison, oublie de donner contre-ordre pour l’entrevue. Phocion arrive, et, ne trouvant pas le tyran, il cherche dans sa tête quelle raison peut lui avoir fait quitter la scène, et il n’en trouve pas de meilleure, sinon que c’est qu’il lui fait peur, et il ajoute, avec une bonhomie tout à fait comique :

Sans armes et mourant je le force à me craindre.
Que le sort d’un tyran, justes dieux ! est à plaindre !