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sens ni de lecture, et encore moins de ce goût qui n’est que l’instinct du vrai beau. Aussi voit-on ses défauts faire rapidement place à des beautés hardies, et, s’il se débarrasse encore quelquefois des entraves grammaticales, ce n’est guère qu’à la manière de La Fontaine, pour donner à son style plus de mouvement, de grâce et d’énergie. Nous citerons ces vers :


Et c’est Glycère, amis, chez qui la table est prête ?
Et la belle Amélie est aussi de la fête ?
Et Rose, qui jamais ne lasse les désirs,
Et dont la danse molle aiguillonne aux plaisirs ?

.   .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
J’y consens, avec vous je suis prêt à m’y rendre,

Allons ! Mais si Camille, ô dieux ! vient à l’apprendre !
Quel orage suivra ce banquet tant vanté,
S’il faut qu’à son oreille un mot en soit porté !
Oh ! vous ne savez pas jusqu’où va son empire.
Si j’ai loué des yeux, une bouche, un sourire,
Ou si, près d’une belle assis en un repas,
Nos lèvres en riant ont murmuré tout bas,
Elle a tout vu. Bientôt cris, reproches, injure,
Un mot, un geste, un rien, tout était un parjure.
« Chacun, pour cette belle avait vu mes égards ;
« Je lui parlais des yeux, je cherchais ses regards. »
Et puis des pleurs, des pleurs… que Memnon sur sa cendre
À sa mère immortelle en a moins fait répandre !
Que dis-je ? sa colère ose en venir aux coups…


Et ceux-ci, où éclatent, à un égal degré, la variété des coupes et la vivacité des tournures :


Une amante moins belle aime mieux, et du moins,
Humble et timide, à plaire elle est pleine de soins ;
Elle est tendre, elle a peur de pleurer votre absence ;
Fidèle, peu d’amants attaquent sa constance ;
Et son égale humeur, sa facile gaîté,
L’habitude, à son front tiennent lieu de beauté.
Mais celle qui partout fait conquête nouvelle,
Celle qu’on ne voit point sans dire : Qu’elle est belle !
Insulte en son triomphe aux soupirs de l’amour,
Souveraine au milieu d’une tremblante cour,
Dans son léger caprice inégale et soudaine,
Tendre et bonne aujourd’hui, demain froide et hautaine,
Si quelqu’un se dérobe à ses enchantements,
Qu’est-ce enfin qu’un de moins dans un peuple d’amants ?
On brigue ses regards, elle s’aime et s’admire,
Et ne connaît d’amour que celui qu’elle inspire.