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4capitaine de la vieille troupe des gentilshommes proscrits avec leurs rois. Dans ces temps de guerres, le pain des soldats valait à ses yeux les festins des princes, et, à défaut de couche royale, il savait conquérir le jour le canon sur lequel il devait reposer la nuit. Revenu enfin parmi les peuples que gouvernaient ses pères, il n’était pas réservé à jouir paisiblement de ce bonheur qu’une auguste union semblait devoir rendre durable pour lui, et éternel pour notre postérité. Hélas ! après quatre ans d’une vie simple et bienfaisante, le plus jeune des derniers Bourbons, entouré de l’amour et des espérances de la nation, est tombé sous le poignard d’un français, poignard que n’a pu rencontrer sur son passage, durant les onze années de son ombrageuse tyrannie, un corse gardé par un mameluck !

Ce loyal enfant du Béarnais, destiné sans doute à commander notre brave et fidèle armée, promis peut-être aux héroïques plaines de la Vendée, est mort à la fleur et dans la force de l’âge, sans avoir même eu la consolation d’expirer, comme Epaminondas, étendu sur son bouclier.

Et quand l’historien d’une si noble vie aura rappelé le dernier pardon et les derniers adieux, il sera de son devoir de remonter, ou plutôt de descendre aux causes et aux auteurs de cet abominable forfait. Qu’il écoute alors pour dévoiler des trames ténébreuses, qu’il écoute la France désespérée, elle criera, comme l’impératrice romaine : Je reconnais les coups !

Nous ne nous livrerons pas ici à une discussion qui outrepasserait nos forces ; mais nous pensons qu’il est des questions graves et importantes que doit résoudre l’historien du duc de Berry assassiné, au sujet du misérable auteur de cet attentat. Louvel est-il un fanatique ? de quelle espèce est son fanatisme ? appartient-il à la classe des assassins exaltés et désintéressés comme les Sand, les Ravaillac et les Clément ? N’est-il pas plutôt de ces gens à qui l’on paie leur fanatisme, en ajoutant à la récompense convenue des assurances de protection et de salut ?... Nous nous arrêtons à ces mots. On n’a plus droit aujourd’hui de s’étonner des choses les plus inouïes. Nous voyons d’exécrables scélérats étaler aux yeux de l’Europe leur impunité, plus monstrueuse peut-être que leurs crimes, et leur audace plus effrayante encore que leur impunité.

Il faudra de plus que, pour remplir entièrement son objet, celui de nos écrivains célèbres qui écrira l’histoire de M. le duc de Berry, se charge d’un autre devoir, humiliant sans doute, mais néanmoins indispensable ; je veux dire qu’il aura à défendre l’héroïque mémoire du prince contre les insinuations perfides et les calomnies atroces dont la faction ennemie des trônes légitimes s’efforce déjà de la noircir. En d’autres temps, un pareil soin eût été injurieux pour le royal défunt, dont la bonté, la bravoure et la franchise ne sont comparables qu’aux vertus du grand Henri. Mais aujourd’hui