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conséquences, ne s’étendant pas sur les événements d’après l’intérêt moral qu’ils étaient susceptibles de présenter, mais d’après l’intérêt de curiosité qui leur restait encore, eu égard aux événements de leur siècle. Voilà pourquoi la plupart de nos histoires commencent par des abrégés chronologiques et se terminent par des gazettes.

On a calculé qu’il faudrait huit cents ans à un homme qui lirait quatorze heures par jour pour lire seulement les ouvrages écrits sur l’histoire qui se trouvent à la Bibliothèque royale ; et parmi ces ouvrages il faut en compter plus de vingt mille, la plupart en plusieurs volumes, sur la seule histoire de France, depuis MM. Royou, Fantin-Désodoards et Anquetil, qui ont donné des histoires complètes, jusqu’à ces braves chroniqueurs, Froissart, Comines et Jean de Troyes, par lesquels nous savons que ung tel jour le roi estoit malade, et que ung tel autre jour ung homme se noya dans la Seine.

Parmi ces ouvrages, il en est quatre généralement connus sous le nom des quatre grandes histoires de France ; celle de Dupleix, qu’on ne lit plus ; celle de Mézeray, qu’on lira toujours, non parce qu’il est aussi exact et aussi vrai que Boileau l’a dit pour la rime, mais parce qu’il est original et satirique, ce qui vaut encore mieux pour des lecteurs français ; celle du P. Daniel, jésuite, fameux par ses descriptions de batailles, qui a fait en vingt ans une histoire où il n’y a d’autre mérite que l’érudition, et dans laquelle le comte de Boulainvilliers ne trouvait guère que dix mille erreurs ; et enfin, celle de Vély, continuée par Villaret et par Garnier.

« Il y a des morceaux bien faits dans Vély, dit Voltaire dont les jugements sont précieux ; on lui doit des éloges et de la reconnaissance ; mais il faudrait avoir le style de son sujet, et pour faire une bonne histoire de France il ne suffit pas d’avoir du discernement et du goût. »

Villaret, qui avait été comédien, écrit d’un style prétentieux et ampoulé ; il fatigue par une affectation continuelle de sensibilité et d’énergie ; il est souvent inexact et rarement impartial. Garnier, plus raisonnable, plus instruit, n’est guère meilleur écrivain ; sa manière est terne, son style est lâche et prolixe. Il n’y a entre Garnier et Villaret que la différence du médiocre au pire, et si la première condition de vie pour un ouvrage doit être de se faire lire, le travail de ces deux auteurs peut être à juste titre regardé comme non avenu.

Au reste, écrire l’histoire d’une seule nation, c’est œuvre incomplète, sans tenants et sans aboutissants, et par conséquent manquée et difforme. Il ne peut y avoir de bonnes histoires locales que dans les compartiments bien proportionnés d’une histoire générale. Il n’y a que deux tâches dignes d’un historien dans ce monde, la chronique, le journal, ou l’histoire universelle. Tacite ou Bossu et.