Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/246

Cette page n’a pas encore été corrigée
234
LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE MÊLÉES.

Le prince Jules de Polignac, qui a tenu les destinées de la France dans ses mains pendant onze mois, était sérieusement et réellement visionnaire. Il croyait fermement voir la Vierge dans de certaines extases qu’il avait la nuit, et recevoir d’elle des communications directes. Il avait fait partager cette croyance au roi Charles X qui parlait de la chose tranquillement et comme d’un fait tout simple. On l’entendait quelquefois dire le matin à son lever : Polignac a encore vu la sainte Vierge cette nuit. Fouché, duc d’Otrante, parlait volontiers dans le salon ou dans le cabinet de l’empereur et était absolument muet dans le conseil. Carthage devait être une ville à plafond. Aussi le vers de Virgile : Pendent opera interrupta minæque Murorum ingentes s’applique-t-il mal à Carthage. A quelque point d’ébauche qu’on le prenne, ce qui dérive du plafond, colonnade, architrave, pylône ou pyramide, ne pend jamais. Ce vers est le vers d’un romain qui avait vu l’ouvrier italo-grec courber des pleins- cintres, qui avait vu des arcs-de-triomphe en construction surplomber, des voûtes inachevées menacer, des archivoltes en ruine pendre. Ce n’est pas un vers de couleur carthaginoise. Au reste, sous ce rapport, Virgile est comme Raphaël. Tous deux s’inquiètent peu du costume. Les lieux, peu ou point, mais l’homme toujours. Et c’est l’essentiel. Les petitesses d’un grand homme paraissent plus petites par leur disproportion avec le reste. Les Chambres soutiennent la Charte comme le gibet soutient le pendu. Ces hommes de tous les régimes, de tous les règnes, de toutes les hontes, de toutes les intrigues, de toutes les bassesses, de toutes les servitudes, de tous les des- potismes, ces hommes qui ont une tache partout où la France a une cicatrice. Parseval de Grandmaison disait l’autre jour à Michaud : J’ai soixante-dix-buit ans, — Vingt-quatre mille vers ! dit Michaud et je commence une épopée de vingt-quatre mille vers. Mais il faudra donze mille hommes pour lire cela !