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Ymbert Galloix est mort triste, anéanti, désespéré, sans une seule vision de gloire à son chevet. Il avait enfoui quelques colonnes de prose fort vulgaire, disait-il, dans le recoin le plus obscur d’une de ces tours de Babel littéraires que la librairie appelle dictionnaires biographiques. Il espérait bien que personne ne viendrait jamais déterrer cette prose de là. Quant aux rares essais de poésie qu’il avait tentés, sur les derniers temps, découragé comme il l’était, il en parlait d’un ton morose et fort sévèrement. Sa poésie, en effet, ne se produisait jamais guère qu’à l’état d’ébauche. Dans l’ode, son vers était trop haletant et avait trop courte haleine pour courir fermement jusqu’au bout de la strophe. Sa pensée, toujours déchirée par de laborieux enfantements, n’emplissait qu’à grand peine les sinuosités du rhythme et y laissait souvent des lacunes partout. Il avait des curiosités de rime et de forme qui peuvent être, dans des talents complets, une qualité de plus, précieuse sans doute, mais secondaire après tout, et qui ne supplée à aucune qualité essentielle. Qu’un vers ait une bonne forme, cela n’est pas tout ; il faut absolument, pour qu’il y ait parfum, couleur et saveur, qu’il contienne une idée, une image ou un sentiment. L’abeille construit artistement les six pans de son alvéole de cire, et puis elle l’emplit de miel. L’alvéole, c’est le vers ; le miel, c’est la poésie.

Galloix était plus à l’aise dans l’élégie. Là, sa poésie était parfois aussi palpitante que son cœur, mais là aussi la faculté d’exprimer tout lui manquait souvent. En général son cerveau résistait à la production littéraire proprement dite. Quelquefois, à force de souffrir, le poëte devenait un homme, son élégie devenait une confidence, son chant devenait un cri ; alors c’était beau.

Comme il croyait peu à la valeur essentielle et durable de sa prose ou de ses vers, comme il n’avait eu le temps de réaliser aucun de ses rêves d’artiste, il est mort avec la conviction désolante que rien de lui ne resterait après lui. Il se trompait.

Il restera de lui une lettre.

Une lettre admirable, selon nous, une lettre éloquente, profonde, maladive, fébrile, douloureuse, folle, unique ; une lettre qui raconte toute une âme, toute une vie, toute une mort ; une lettre étrange, vraie lettre de poëte, pleine de vision et de vérité.

Cette lettre, l’ami auquel Ymbert Galloix l’adressait a bien voulu nous la confier. La voici. Elle fera mieux connaître Ymbert Galloix que tout ce que nous pourrions dire. Nous la publions telle qu’elle est, avec les répétitions, les néologismes, les fautes de français (il y en a), et tous ces embarras d’expression propres au style genevois. Les deux ou trois suppressions qu’on y remarquera étaient imposées à celui qui écrit ceci par des convenances rigou-