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églises la même excroissance que sur la religion. Le sacré-cœur s’était fait marbre, bronze, badigeonnage et bois doré. Il se produisait le plus souvent dans les églises sous la forme d’une petite chapelle peinte, dorée, mystérieuse, élégiaque, pleine d’anges bouffis, coquette, galante, ronde et à faux jour, comme celle de Saint-Sulpice. Pas de cathédrale, pas de paroisse en France à laquelle il ne poussât, soit au front, soit au côté, une chapelle de ce genre. Cette chapelle constituait pour les églises une véritable maladie. C’était la verrue de Saint-Acheul.

Depuis la révolution de juillet, les profanations continuent, plus funestes et plus mortelles encore, et avec d’autres semblants. Au prétexte dévot a succédé le prétexte national, libéral, patriote, philosophe, voltairien. On ne restaure plus, on ne gâte plus, on n’enlaidit plus un moment, on le jette bas. Et l’on a de bonnes raisons pour cela. Une église, c’est le fanatisme ; un donjon, c’est la féodalité. On dénonce un monument, on massacre un tas de pierres, on septembrise des ruines. A peine si nos pauvres églises parviennent à se sauver en prenant cocarde. Pas une Notre-Dame en France, si colossale, si vénérable, si magnifique, si impartiale, si historique, si calme et si majestueuse qu’elle soit, qui n’ait son petit drapeau tricolore sur l’oreille. Quelquefois on sauve une admirable église en écrivant dessus : Mairie. Rien de moins populaire parmi nous que ces édifices faits par le peuple et pour le peuple. Nous leur en voulons de tous ces crimes des temps passés dont ils ont été les témoins. Nous voudrions effacer le tout de notre histoire. Nous dévastons, nous pulvérisons, nous détruisons, nous démolissons par esprit national. A force d’être bons français, nous devenons d’excellents welches.

Dans le nombre, on rencontre certaines gens auxquels répugne ce qu’il y a d’un peu banal dans le magnifique pathos de juillet, et qui applaudissent aux démolisseurs par d’autres raisons, des raisons doctes et importantes, des raisons d’économiste et de banquier.

—A quoi servent ces monuments ? disent-ils. Cela coûte des frais d’entretien, et voilà tout. Jetez-les à terre et vendez les matériaux. C’est toujours cela de gagné.-Sous le pur rapport économique, le raisonnement est mauvais. Nous l’avons déjà établi plus haut, ces monuments sont des capitaux. Beaucoup d’entre eux, dont la renommée attire les étrangers riches en France, rapportent au pays bien au delà de l’intérêt de l’argent qu’ils ont coûté. Les détruire, c’est priver le pays d’un revenu.

Mais quittons ce point de vue aride, et raisonnons de plus haut. Depuis quand ose-t-on, en pleine civilisation, questionner l’art sur son utilité ? Malheur à vous si vous ne savez pas à quoi l’art sert ! On n’a rien de plus à vous dire. Allez ! démolissez ! utilisez ! Faites des moellons avec Notre-Dame de Paris. Faites des gros sous avec la Colonne.