Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome I.djvu/173

Cette page n’a pas encore été corrigée

que chacune ensuite comble le sien avec la terre de l’autre. Et puis payez-leur ce travail. Voilà une idée. J’aime mieux l’inutile que le nuisible.

A Paris, le vandalisme fleurit et prospère sous nos yeux. Le vandalisme est architecte. Le vandalisme se carre et se prélasse. Le vandalisme est fêté, applaudi, encouragé, admiré, caressé, protégé, consulté, subventionné, défrayé, naturalisé. Le vandalisme est entrepreneur de travaux pour le compte du gouvernement. Il s’est installé sournoisement dans le budget, et il le grignote à petit bruit, comme le rat son fromage. Et, certes, il gagne bien son argent. Tous les jours il démolit quelque chose du peu qui nous reste de cet admirable vieux Paris. Que sais-je ? le vandalisme a badigeonné Notre-Dame, le vandalisme a retouché les tours du Palais de Justice, le vandalisme a rasé Saint-Magloire, le vandalisme a détruit le cloître des Jacobins, le vandalisme a amputé deux flèches sur trois à Saint-Germain-des-Prés. Nous parlerons peut-être dans quelques instants des édifices qu’il bâtit. Le vandalisme a ses journaux, ses coteries, ses écoles, ses chaires, son public, ses raisons. Le vandalisme a pour lui les bourgeois. Il est bien nourri, bien renté, bouffi d’orgueil, presque savant, très classique, bon logicien, fort théoricien, joyeux, puissant, affable au besoin, beau parleur, et content de lui. Il tranche du Mécène. Il protège les jeunes talents. Il est professeur. Il donne de grands prix d’architecture. Il envoie des élèves à Rome. Il porte habit brodé, épée au côté et culotte française. Il est de l’institut. Il va à la cour. Il donne le bras au roi, et flâne avec lui dans les rues, lui soufflant ses plans à l’oreille. Vous avez dû le rencontrer.

Quelquefois il se fait propriétaire, et il change la tour magnifique de Saint-Jacques de la Boucherie en fabrique de plomb de chasse, impitoyablement fermée à l’antiquaire fureteur ; et il fait de la nef de Saint-Pierre-aux-Boeufs un magasin de futailles vides, de l’hôtel de Sens une écurie à rouliers, de la maison de la Couronne d’or une draperie, de la chapelle de Cluny une imprimerie. Quelquefois il se fait peintre en bâtiments, et il démolit Saint-Landry pour construire sur l’emplacement de cette simple et belle église une grande laide maison qui ne se loue pas. Quelquefois il se fait greffier, et il encombre de paperasses la Sainte-Chapelle, cette église qui sera la plus admirable parure de Paris, quand il aura détruit Notre-Dame. Quelquefois il se fait spéculateur, et dans la nef déshonorée de Saint-Benoît il emboîte violemment un théâtre, et quel théâtre ! Opprobre ! le cloître saint, docte et grave des bénédictins, métamorphosé en je ne sais quel mauvais lieu littéraire.

Sous la restauration, il prenait ses aises et s’ébattait d’une manière tout aussi charmante, nous en convenons. Chacun se rappelle comment le vandalisme, qui alors aussi était architecte du roi, a traité la cathédrale de