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À cette décadence se mêle je ne sais quel faux goût florentin, naturalisé en France par les Médicis. Tout se relève sous le sceptre éclatant de Louis XIV, mais rien ne se redresse. Au contraire, le principe de l’imitation des anciens devient loi pour les arts, et les arts restent froids, parce qu’ils restent faux. Quoique imposant, il faut le dire, le génie de ce siècle illustre est incomplet. Sa richesse n’est que de la pompe, sa grandeur n’est que de la majesté.

Enfin, sous Louis XV, tous les germes ont porté leurs fruits. Les arts selon Aristote tombent de décrépitude avec la monarchie selon Richelieu. Cette noblesse factice que leur imprimait Louis XIV meurt avec lui. L’esprit philosophique achève de mûrir l’œuvre classique ; et, dans ce siècle de turpitudes, les arts ne sont qu’une turpitude de plus. Architecture, sculpture, peinture, poésie, musique, tout, à bien peu d’exceptions près, montre les mêmes difformités. Voltaire amuse une courtisane régnante des tortures d’une vierge martyre. Les vers de Dorat naissent pour les bergères de Boucher. Siècle ignoble quand il n’est pas ridicule, ridicule quand il n’est pas hideux ; et qui, commençant au cabaret pour finir à la guillotine, couronnant ses fêtes par des massacres et ses danses par la carmagnole, ne mérite place qu’entre le chaos et le néant.

Le siècle de Louis XIV ressemble à une cérémonie de cour réglée par l’étiquette ; le siècle de Louis XV est une orgie de taverne, où la démence s’accouple au vice. Cependant, quelque différentes qu’elles paraissent au premier abord, une cohésion intime existe entre ces deux époques. D’une solennité d’apparat ôtez l’étiquette, il vous restera une cohue ; du règne de Louis XIV ôtez la dignité, vous aurez le règne de Louis XV.

Heureusement, et c’est là que nous voulions en venir, le même lien est loin d’enchaîner le dix-neuvième siècle au dix-huitième. Chose étrange ! quand on compare notre époque si austère, si contemplative, et déjà si féconde en événements prodigieux, aux trois siècles qui l’ont précédée, et surtout à son devancier immédiat, on a d’abord peine à comprendre comment il se fait qu’elle vienne à leur suite ; et son histoire, après la leur, a l’air d’un livre dépareillé. On serait tenté de croire que Dieu s’est trompé de siècle dans sa distribution alternative des temps. De notre siècle à l’autre, on ne peut découvrir la transition. C’est qu’en effet il n’en existe pas. Entre Frédéric et Bonaparte, Voltaire et Byron, Vanloo et Géricault, Boucher et Charlet, il y a un abîme, la révolution.