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avoir rendu leur rang aux femmes, afin qu’elles conduisissent les hommes au plus haut degré possible de perfectionnement social. Ce sont elles qui ont créé la chevalerie ; et cette institution merveilleuse, en disparaissant des monarchies modernes, y a laissé l’honneur comme une âme ; l’honneur, cet instinct de nature, qui est aussi une superstition de société ; cette seule puissance dont un français, supporte patiemment la tyrannie ; ce sentiment mystérieux inconnu aux anciens justes, qui est tout à la fois plus et moins que la vertu. A l’heure qu’il est, remarquons bien ceci, l’honneur est ignoré des peuples à qui l’évangile n’a pas encore été révélé, ou chez lesquels l’influence morale des femmes est nulle. Dans notre civilisation, si les lois donnent la première place à l’homme, l’honneur donne le premier rang à la femme. Tout l’équilibre des sociétés chrétiennes est là.


III


Je ne sais par quelle bizarre manie on prétend aujourd’hui refuser au génie le droit d’admirer hautement le génie ; on insulte à l’enthousiasme que le chant du poëte inspire à un poëte ; et l’on veut que ceux qui ont du talent ne soient jugés que par ceux qui n’en ont pas. On dirait que, depuis le siècle dernier, nous ne sommes plus accoutumés qu’aux jalousies littéraires. Notre âge envieux se raille de cette fraternité poétique, si douce et si noble entre rivaux. Il a oublié l’exemple de ces antiques amitiés qui se resserraient dans la gloire ; et il accueillerait d’un rire dédaigneux l’allocution touchante qu’Horace adressait au vaisseau de Virgile.


IV


La composition poétique résulte de deux phénomènes intellectuels, la méditation et l’inspiration. La méditation est une faculté ; l’inspiration est un don. Tous les hommes, jusqu’à un certain degré, peuvent méditer ; bien peu sont inspirés. Spiritus flat ubi vult. Dans la méditation, l’esprit agit ; dans l’inspiration, il obéit ; parce que la première est en l’homme, tandis que la seconde vient de plus haut. Celui qui nous donne cette force est plus fort que nous. Ces deux opérations de la pensée se lient intimement dans l’âme du poëte. Le poëte appelle l’inspiration par la méditation, comme les prophètes s’élevaient à l’extase par la prière. Pour que la muse se révèle à lui, il faut qu’il ait en quelque sorte dépouillé toute son existence matérielle dans le calme, dans le silence et dans le recueillement. Il faut qu’il se soit isolé de la vie extérieure, pour jouir avec plénitude de cette vie intérieure qui développe en lui comme un être nouveau ; et ce n’est que lorsque le monde