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Revue d’Édimbourg a renvoyé lord Byron à l’école ; il faut laisser la médiocrité peser de toutes ses petites forces sur le talent naissant. Elle ne l’étouffera pas. Et, à tout prendre, est-ce donc un spectacle moins amusant qu’un autre, que de voir un homme de génie foudroyé par un professeur de gazette ou d’athénée ? C’est l’aigle dans les serres du moineau franc.


II


L’expression de l’amour, dans les poëtes de l’école antique (à quelque nation et à quelque époque qu’ils appartiennent), manque en général de chasteté et de pudeur. Cette observation, peu importante au premier aspect, se rattache cependant aux plus hautes considérations. Si nous voulions l’examiner sérieusement, nous trouverions au fond de cette question toutes les sociétés païennes et tous les cultes idolâtriques. L’absence de chasteté dans l’amour est peut-être le signe caractéristique des civilisations et des littératures que n’a point purifiées le christianisme. Sans parler de ces poésies monstrueuses par lesquelles Anacréon, Horace, Virgile même ont immortalisé d’infâmes débauches et de honteuses habitudes, les chants amoureux des poëtes païens anciens et modernes, de Catulle, de Tibulle, de Bertin, de Bernis, de Parny, ne nous offrent rien de cette délicatesse, de cette modestie, de cette retenue sans lesquelles l’amour n’est plus qu’un instinct animal et qu’un appétit charnel. Il est vrai que l’amour chez ces poëtes est aussi raffiné qu’il est grossier. Il est difficile d’exprimer plus ingénieusement ce que sentent les brutes ; et c’est sans doute pour qu’il y ait une différence entre leurs amours et ceux des animaux que ces galants diseurs font des élégies. Ils en sont même venus à convertir en science ce qu’il y a de plus naturel au monde ; et l’art d’aimer a été enseigné par Ovide aux païens du siècle d’Auguste, par Gentil Bernard aux païens du siècle de Voltaire.

Avec quelque attention, on reconnaît qu’il existe une différence entre les premiers et les derniers artistes en amour. A une nuance près, leur vermillon est le même. Tous chantent la volupté matérielle. Mais les poëtes païens, grecs et romains, semblent le plus souvent des maîtres qui commandent à des esclaves, tandis que les poëtes païens français sont toujours des esclaves implorant leurs maîtresses. Et le secret des deux civilisations différentes est tout entier là-dedans. Les sociétés polies, mais idolâtres, de Rome et d’Athènes ignoraient la céleste dignité de la femme, révélée plus tard aux hommes par le Dieu qui voulut naître d’une fille d’Ève. Aussi l’amour, chez ces peuples, ne s’adressant qu’aux esclaves et aux courtisanes, avait-il quelque chose d’impérieux et de méprisant. Tout, dans la civilisation chrétienne, tend au contraire à l’ennoblissement du sexe faible et beau ; et l’évangile paraît