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les mieux préparés, sans autre boussole qu’un amour presque insensé ; mais c’est souvent quand il ressemble à une folie que l’amour est une vertu. Le second est confié à Louis XI, roi plus adroit que le plus adroit courtisan, vieux renard armé des ongles du lion, puissant et fin, servi dans l’ombre comme au jour, incessamment couvert de ses gardes comme d’un bouclier, et accompagné de ses bourreaux comme d’une épée. Ces deux personnages si différents réagissent l’un sur l’autre de manière à exprimer l’idée fondamentale avec une vérité singulièrement frappante. C’est en obéissant fidèlement au roi que le loyal Quentin sert, sans le savoir, ses propres intérêts, tandis que les projets de Louis XI, dont Quentin devait être à la fois l’instrument et la victime, tournent en même temps à la confusion du rusé vieillard et à l’avantage du simple jeune homme.

Un examen superficiel pourrait faire croire d’abord que l’intention première du poëte est dans le contraste historique, peint avec tant de talent, du roi de France Louis de Valois et du duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Ce bel épisode est peut-être en effet un défaut dans la composition de l’ouvrage, en ce qu’il rivalise d’intérêt avec le sujet lui-même ; mais cette faute, si elle existe, n’ôte rien à ce que présente d’imposant et de comique tout ensemble cette opposition de deux princes, dont l’un, despote souple et ambitieux, méprise l’autre, tyran dur et belliqueux, qui le dédaignerait s’il l’osait. Tous deux se haïssent ; mais Louis brave la haine de Charles parce qu’elle est rude et sauvage, Charles craint la haine de Louis parce qu’elle est caressante. Le duc de Bourgogne, au milieu de son camp et de ses états, s’inquiète près du roi de France sans défense, comme le limier dans le voisinage du chat. La cruauté du duc naît de ses passions, celle du roi de son caractère. Le bourguignon est loyal parce qu’il est violent ; il n’a jamais songé à cacher ses mauvaises actions ; il n’a point de remords, car il a oublié ses crimes comme ses colères. Louis est superstitieux, peut-être parce qu’il est hypocrite ; la religion ne suffit pas à celui que sa conscience tourmente et qui ne veut pas se repentir ; mais il a beau croire à d’impuissantes expiations, la mémoire du mal qu’il a fait vit sans cesse en lui près de la pensée du mal qu’il va faire, parce qu’on se rappelle toujours ce qu’on a médité longtemps et qu’il faut bien que le crime, lorsqu’il a été un désir et une espérance, devienne aussi un souvenir. Les deux princes sont dévots ; mais Charles jure par son épée avant de jurer par Dieu, tandis que Louis tâche de gagner les saints par des dons d’argent ou des charges de cour, mêle de la diplomatie à sa prière et intrigue même avec le ciel. En cas de guerre, Louis en examine encore le danger, que Charles se repose déjà de la victoire. La politique du Téméraire est toute dans son bras, mais l’œil du roi atteint plus loin que le bras du duc. Enfin Walter Scott prouve, en mettant en jeu les deux rivaux,