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l’intérêt et pressent la marche de l’action ? Ne doit-on pas enfin supposer quelque vice radical et insurmontable dans un genre de composition qui a pu refroidir parfois l’éloquence même de Rousseau ?

Supposons donc qu’au roman narratif, où il semble qu’on ait songé à tout, excepté à l’intérêt, en adoptant l’absurde usage de faire précéder chaque chapitre d’un sommaire, souvent très détaillé, qui est comme le récit du récit ; supposons qu’au roman épistolaire, dont la forme même interdit toute véhémence et toute rapidité, un esprit créateur substitue le roman dramatique, dans lequel l’action imaginaire se déroule en tableaux vrais et variés, comme se déroulent les événements réels de la vie ; qui ne connaisse d’autre division que celle des différentes scènes à développer ; qui enfin soit un long drame, où les descriptions suppléeraient aux décorations et aux costumes, où les personnages pourraient se peindre par eux-mêmes, et représenter, par leurs chocs divers et multipliés, toutes les formes de l’idée unique de l’ouvrage. Vous trouverez, dans ce genre nouveau, les avantages réunis des deux genres anciens, sans leurs inconvénients. Ayant à votre disposition les ressorts pittoresques, et en quelque façon magiques, du drame, vous pourrez laisser derrière la scène ces mille détails oiseux et transitoires que le simple narrateur, obligé de suivre ses acteurs pas à pas comme des enfants aux lisières, doit exposer longuement s’il veut être clair ; et vous pourrez profiter de ces traits profonds et soudains, plus féconds en méditations que des pages entières que fait jaillir le mouvement d’une scène, mais qu’exclut la rapidité d’un récit.

Après le roman pittoresque, mais prosaïque, de Walter Scott, il restera un autre roman à créer, plus beau et plus complet encore selon nous. C’est le roman à la fois drame et épopée, pittoresque mais poétique, réel mais idéal, vrai mais grand, qui enchâssera Walter Scott dans Homère.

Comme tout créateur, Walter Scott a été assailli jusqu’à présent par d’inextinguibles critiques. Il faut que celui qui défriche un marais se résigne à entendre les grenouilles coasser autour de lui.

Quant à nous, nous remplissons un devoir de conscience en plaçant Walter Scott très haut parmi les romanciers, et en particulier Quentin Durward très haut parmi les romans. Quentin Durward est un beau livre. Il est difficile de voir un roman mieux tissu, et des effets moraux mieux attachés aux effets dramatiques.

L’auteur a voulu montrer, ce nous semble, combien la loyauté, même dans un être obscur, jeune et pauvre, arrive plus sûrement à son but que la perfidie, fût-elle aidée de toutes les ressources du pouvoir, de la richesse et de l’expérience. Il a chargé du premier de ces rôles son écossais Quentin Durward, orphelin jeté au milieu des écueils les plus multipliés, des pièges