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camarades vont tomber morts ou blessés. Vous êtes un jeune officier, vous n’avez pas encore beaucoup vu le feu…

— Eh bien, interrompit vivement Ossian Dumas, je n’aurai pas combattu contre la République, on ne dira pas que je suis un traître.

— Non, mais on dira que vous êtes un poltron.

Ossian ne répliqua pas.

L’instant d’après, le commandement d’attaque fut donné, le bataillon partit au pas de course. La barricade fit feu.

Ossian Dumas fut le premier qui tomba.

Il n’avait pu supporter ce mot : Poltron, et il était resté à sa place, au premier rang.

On le porta à l’ambulance et de là à l’hôpital.

Disons tout de suite la fin de cette poignante aventure.

Il avait les deux jambes brisées. Les médecins pensèrent qu’il faudrait peut-être les lui couper toutes les deux.

Le général Saint-Arnaud lui envoya la croix.

On le sait, Louis Bonaparte se hâta de se faire acquitter par les prétoriens complices. Après avoir massacré, le sabre vota.

Le combat fumait encore qu’on fit scrutiner l’armée.

La garnison de Paris vota oui. Elle s’absolvait elle-même. Il en fut autrement du reste de l’armée. L’honneur militaire s’y indigna et y réveilla la vertu civique. Quelle que fût la pression exercée, quoiqu’on fît voter les régiments dans le schako des colonels, sur beaucoup de points de la France et de l’Algérie, l’armée vota non.

L’école polytechnique en masse vota non. Presque partout, l’artillerie, dont l’école polytechnique est le berceau, vota comme l’école.

Scipion Dumas, on s’en souvient, était à Metz.

Par je ne sais quel hasard, il se trouva que l’esprit de l’artillerie, prononcé partout ailleurs contre le coup d’État, hésitait à Metz et semblait pencher vers Bonaparte.

Scipion Dumas, en présence de cette indécision, donna l’exemple. Il vota, à haute voix et à bulletin ouvert, non.

Puis il envoya sa démission. En même temps que le ministre, à Paris, recevait cette démission signée de Scipion Dumas, Scipion Dumas, à Metz, recevait sa destitution signée par le ministre.

Après le vote de Scipion Dumas, la même pensée était venue, à la même heure, au gouvernement et à l’officier, au gouvernement que l’officier était dangereux et qu’on ne pouvait plus l’employer, à l’officier que le gouvernement était infâme et qu’on ne devait plus le servir.

La démission et la destitution se croisèrent en chemin.