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Et en effet, quelques heures après, il a reçu dix-sept coups de bayonnette.

» On n’a pas brisé les conduits de gaz, toujours « pour ne pas faire trop de dégât ». On s’est borné à prendre aux portiers du gaz leur clef et aux allumeurs leur perche à ouvrir les tuyaux. De cette façon on est maître d’allumer ou d’éteindre.

» Ce groupe de barricades est fort et jouera un rôle.

» J’ai espéré un moment qu’on l’attaquerait pendant que j’y étais. Le clairon s’est approché, puis s’est éloigné. Et Jeanty Sarre vient de me dire : – Ce sera pour ce soir.

» Son intention est d’éteindre le gaz rue du Petit-Carreau et dans toutes les rues voisines, et de ne laisser qu’un bec allumé rue du Cadran. Il a mis des sentinelles jusqu’au coin de la rue Saint-Denis ; il y a là un côté ouvert, sans barricades, mais peu accessible à la troupe, à cause de l’exiguïté des rues, on n’y peut entrer qu’un à un ; donc peu de danger, utilité des rues étroites ; la troupe « ne vaut rien qu’en bloc », le soldat n’aime pas l’action éparse ; en guerre, se toucher les coudes, c’est la moitié de la bravoure. Jeanty Sarre a un oncle réactionnaire qu’il ne voit pas et qui demeure tout près rue du Petit-Carreau, n° 1. – Quelle peur nous lui ferons tout à l’heure ! m’a dit Jeanty Sarre en riant. Ce matin Jeanty Sarre a inspecté la barricade Montorgueil. Il n’y avait qu’un homme, qui était ivre, et qui lui a mis le canon de son fusil sur la poitrine en disant : – On ne passe pas. – Jeanty Sarre l’a désarmé.

» Je vais rue Pagevin. Il y a là, à l’angle de la place des Victoires, une barricade très bien faite. Dans la barricade d’à côté, rue Jean-Jacques-Rousseau, la troupe ce matin n’a pas fait de prisonniers. Les soldats ont tout tué. Il y a des cadavres jusque sur la place des Victoires. La barricade Pagevin s’est maintenue. Ils sont là cinquante, bien armés. J’y entre. – Tout va bien ? – Oui. – Courage ! – Je serre toutes ces mains vaillantes. On me fait un rapport. On a vu un garde municipal écraser la tête d’un mourant à coups de crosse. Une jeune fille, jolie, voulant rentrer chez elle, s’est réfugiée dans la barricade. Elle y est restée une heure, « épouvantée ». Quand le danger a été passé, le chef de la barricade l’a fait reconduire chez elle « par le plus âgé de ses hommes ».

» Comme j’allais sortir de la barricade Pagevin, on m’a amené un prisonnier, « un mouchard », disait-on. Il s’attendait à être fusillé. Je l’ai fait mettre en liberté. »

Bancel était dans cette barricade de la rue Pagevin. Nous nous serrâmes la main.