Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/44

Cette page n’a pas encore été corrigée

VIII. Situation

Quoique la tactique de combat du comité fût, j’en ai déjà dit les motifs, de ne point condenser la résistance dans une heure ni dans un lieu, mais de la répandre sur le plus grand nombre de jours possible, chacun de nous avait l’instinct, comme de leur côté les malfaiteurs de l’Elysée, que la journée serait décisive.

Le moment approchait où le coup d’État nous donnerait l’assaut de toutes parts et où nous aurions à soutenir le choc d’une armée entière. Le peuple, ce grand peuple révolutionnaire des faubourgs de Paris, abandonnerait-il ses représentants ? s’abandonnerait-il lui-même ? ou, réveillé et éclairé, se lèverait-il enfin ? Question de plus en plus poignante et que nous nous répétions avec anxiété.

Aucun indice sérieux du côté de la garde nationale. La proclamation éloquente, écrite chez Marie par Jules Favre et Alexandre Rey, et adressée en notre nom aux légions, n’avait pu être imprimée. Le projet d’Hetzel avait avorté. Versigny et Labrousse n’avaient pu le rejoindre, le lieu de rendez-vous choisi, l’angle du boulevard et de la rue Richelieu, ayant été constamment balayé par les charges de cavalerie. L’effort courageux du colonel Forestier sur la 6e légion, la tentative plus timide du lieutenant-colonel Hovyn sur la 5e, avaient échoué. Pourtant l’indignation de Paris se dessinait. La soirée avait été significative.

Hingray nous arriva dès le matin, portant sous son manteau une liasse d’exemplaires du décret de déchéance, réimprimé. Pour nous les apporter, il avait dix fois couru le risque d’être arrêté et fusillé. Nous fîmes immédiatement distribuer et afficher ces exemplaires. Cet affichage s’exécuta résolûment ; sur plusieurs points, nos affiches furent collées à côté des affiches du coup d’État qui portaient peine de mort contre quiconque placarderait les décrets émanés des représentants. Hingray nous annonça que nos proclamations et nos décrets avaient été autographiés et circulaient de main en main par milliers d’exemplaires. Il importait de continuer nos publications. Un imprimeur, ancien éditeur de plusieurs journaux démocratiques, M. Boulé, m’avait fait offrir ses services la veille au soir. J’avais pris, en juin 1848, la défense de son imprimerie, dévastée par les gardes nationaux. Je lui écrivis, je mis nos actes et nos décrets dans la lettre,. et le représentant Montagut se chargea de les lui porter. M.