Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/38

Cette page n’a pas encore été corrigée

VI. Denis Dussoubs

Gaston Dussoubs était un des plus vaillants membres de la gauche. Il était représentant de la Haute-Vienne. Dans les premiers temps de sa présence à l’Assemblée, il portait, comme autrefois Théophile Gautier, un gilet rouge, et le frisson que donnait aux classiques de 1830 le gilet de Gautier, le gilet de Dussoubs le donnait aux royalistes de 1851. M. Parisis, évêque de Langres, auquel un chapeau rouge n’eût pas fait peur, était terrifié du gilet rouge de Dussoubs. Une autre cause d’horreur pour la droite, c’est que Dussoubs avait, disait-on, passé trois ans à Belle-Isle, comme détenu politique, condamnation encourue pour « l’affaire de Limoges ». Le suffrage universel l’aurait donc pris là pour le mettre à l’Assemblée. Aller de la prison au sénat ; chose, certes, peu surprenante dans nos temps variables, et qui se complète parfois ainsi : retourner du sénat à la prison. Mais la vérité, c’est que la droite se trompait. Le condamné de Limoges était, non Gaston Dussoubs, mais Denis, son frère.

En somme, Gaston Dussoubs « effrayait ». Il était spirituel, courageux et doux.

Dans l’automne de 1851, j’allais tous les jours dîner à la Conciergerie avec mes deux fils et mes deux amis en prison. Ces grands cœurs et ces grands esprits, Vacquerie, Meurice, Charles, François-Victor, attiraient leurs pareils, et il y avait, dans ce demi-jour livide des fenêtres à hottes et à barreaux de fer, une petite table de famille où venaient s’asseoir dans l’intimité les éloquents orateurs, et parmi eux Crémieux, et les écrivains puissants et charmants, et parmi eux Peyrat.

Un jour, Michel (de Bourges) nous amena Gaston Dussoubs.

Gaston Dussoubs habitait le faubourg Saint-Germain, dans le voisinage de l’Assemblée.

Le 2 décembre, nous ne le vîmes pas à nos réunions. Il était malade et avait dû rester couché, « cloué, comme il me l’écrivit, par un rhumatisme articulaire ».

Il avait un frère, plus jeune que lui, que nous venons de nommer, Denis Dussoubs. Le matin du 4, ce frère vint le voir.

Gaston Dussoubs savait le coup d’État et s’indignait d’être forcé de garder le lit. Il s’écriait :

— Je suis déshonoré. Il y aura des barricades, et mon écharpe n’y sera pas !