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IV.

Fixons la situation.

Les allemands ont pour eux le nombre ; ils sont trois contre un, quatre peut-être ; ils avouent deux cent cinquante mille hommes, mais il est certain que leur front d’attaque était de trente kilomètres ; ils ont pour eux les positions, ils couronnent les hauteurs, ils emplissent les forêts, ils sont couverts par tous ces escarpements, ils sont masqués par toute cette ombre ; ils ont une artillerie incomparable. L’armée française est dans un fond, presque sans artillerie et sans munitions, toute nue sous leur mitraille. Les allemands ont pour eux l’embuscade, les français n’ont pour eux que l’héroïsme. Mourir est beau, mais surprendre est bon.

Une surprise, c’est là ce fait d’armes.

Est-ce de bonne guerre ? Oui. Mais si ceci est la bonne guerre, qu’est-ce que la mauvaise ?

C’est la même chose.

Cela dit, la bataille de Sedan est racontée.

On voudrait s’arrêter là. Mais on ne peut. Quelle que soit l’horreur de l’historien, l’histoire est un devoir, et ce devoir veut être rempli. Il n’y a pas de pente plus impérieuse que celle-ci : dire la vérité ; qui s’y aventure roule jusqu’au fond. Il le faut. Le justicier est condamné à la justice.

La bataille de Sedan est plus qu’une bataille qui se livre ; c’est un syllogisme qui s’achève ; redoutable préméditation du destin. Le destin ne se hâte jamais, mais arrive toujours. A son heure, le voilà. Il laisse passer les années, puis, au moment où l’on y songe le moins, il apparaît. Sedan, c’est l’inattendu, fatal. De temps en temps, dans l’histoire, la logique divine fait des sorties. Sedan est une de ces sorties.

Donc le 1er septembre, à cinq heures du matin, le monde s’éveilla sous le soleil et l’armée française sous la foudre.