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petite rouge » qui avait le 3 décembre porté la lettre de l’ouvrier à l’archevêque, ange envoyé par Dieu au prêtre qui n’avait pas compris l’ange et qui ne connaissait plus Dieu.

Dans cette variété d’incidents et d’aventures, chacun eut son drame. Le drame de Cournet fut étrange et terrible.

Cournet, on s’en souvient, avait été officier de marine. C’était un de ces hommes, à décision prompte, qui aimantent les autres hommes et qui, à de certains jours suprêmes, peuvent communiquer l’impulsion aux masses. Il avait l’allure fière, les larges épaules, les bras robustes, les poings puissants, la haute stature, qui donnent confiance aux multitudes, et le regard intelligent qui donne confiance aux penseurs. On le voyait passer, et l’on reconnaissait la force ; on l’écoutait parler, et l’on sentait la volonté, qui est plus que la force. Tout jeune, il avait servi sur nos navires de guerre. Il combinait en lui, dans une certaine mesure, – et c’est là ce qui faisait de cet homme énergique, bien dirigé et bien employé, un moyen d’entraînement et un point d’appui, – il combinait la fougue populaire et le calme militaire. C’était une de ces natures faites pour l’ouragan et pour la foule, qui ont commencé leur étude du peuple par l’étude de l’océan, et qui sont à l’aise avec les révolutions comme avec les tempêtes.

Comme nous l’avons raconté, il avait pris une large part au combat, il avait été intrépide et infatigable, il était un de ceux qui pouvaient le ranimer encore. Dès l’après-dînée du mercredi, plusieurs agents étaient chargés de le chercher partout, de le saisir en quelque lieu qu’on le trouvât et de l’amener à la préfecture de police, où l’ordre était donné de le fusiller immédiatement.

Cournet cependant, avec sa hardiesse habituelle, allait et venait librement pour les besoins de la résistance légale, même dans les quartiers occupés par les troupes. Pour toute précaution, il s’était borné à raser ses moustaches.

Dans l’après-midi du jeudi, il se trouvait sur le boulevard, à quelques pas d’un régiment de cavalerie en bataille. Il causait tranquillement avec deux de ses camarades de combat, Huy et Lorin. Tout à coup il se voit enveloppé avec ses deux compagnons par une escouade de sergents de ville ; un homme lui touche le bras et lui dit : – Vous êtes Cournet. Je vous arrête.

— Bah ! répond Cournet, je m’appelle Lépine.

L’homme reprend :

— Vous êtes Cournet. Vous ne me reconnaissez donc pas ? Eh bien, je vous reconnais, moi ; j’ai été avec vous membre du comité électoral socialiste.