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IX. Notre dernière réunion

Le 3 tout venait à nous, le 5 tout se retira de nous.

Ce fut comme une mer immense qui s’en va. Elle était venue formidable, elle s’en alla sinistre. Sombres marées du peuple.

Et qui eut cette puissance de dire à cet océan : Tu n ’iras pas plus loin ? Hélas ! un pygmée.

Ces retraites d’abîme sont insondables.

L’abîme a peur. De quoi ?

De quelque chose de plus profond que lui. Du crime.

Le peuple recula. Il recula le 5, le 6 il disparut.

Il n’y eut plus rien à l’horizon, qu’une sorte de vaste nuit commençante.

Cette nuit a été l’empire.

Nous nous retrouvâmes le 5 ce que nous étions le 2. Seuls.

Mais nous persévérâmes. Notre situation d’âme était ceci : désespérés, oui ; découragés, non.

Les mauvaises nouvelles nous arrivaient, comme l’avant-veille les bonnes, coup sur coup. Aubry (du Nord) était à la Conciergerie. Notre éloquent et cher Crémieux était à Mazas. Louis Blanc qui, quoique banni, venait au secours de la France et nous apportait la grande puissance de son nom et de son âme, avait dû, comme Ledru-Rollin, s’arrêter devant la catastrophe du 4. Il n’avait pu dépasser Tournay.

Quant au général Neumayer, il n’avait pas « marché sur Paris », mais il y était venu. Quoi faire ? Sa soumission.

Nous n’avions plus d’asile. Le n° 15 de la rue Richelieu était surveillé, le n° 11 de la rue du Mont-Thabor était dénoncé. Nous errions dans Paris, nous retrouvant çà et là, et échangeant quelques mots à voix basse, ne sachant pas où nous coucherions et si nous mangerions, et, parmi ces têtes qui ignoraient quel oreiller elles auraient le soir, il y en avait au moins une qui était mise à prix.

On s’abordait, et voici les choses qu’on se disait :

— Qu’est devenu un tel ?

— Il est arrêté.

— Et un tel ?

— Mort.

— Et un tel ?