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perron du Prophète, une place, à peine large de quelques pieds, où plus de cent balles avaient porté.[1] »

« Un autre dit[2] :

« À l’entrée de la rue Montmartre jusqu’à la fontaine, l’espace de soixante pas, il y avait soixante cadavres, hommes, femmes, dames, enfants, jeunes filles. Tous ces malheureux étaient tombés victimes des premiers coups de feu tirés par la troupe et par la gendarmerie, placées en face sur l’autre côté des boulevards. Tout cela fuyait aux premières détonations, faisait encore quelques pas, puis enfin s’affaissait pour ne plus se relever. Un jeune homme s’était réfugié dans le cadre d’une porte cochère et s’abritait sous la saillie du mur du côté des boulevards. Il servait de cible aux soldats. Après dix minutes de coups maladroits, il fut atteint malgré tous ses efforts pour s’amincir en s’élevant, et on le vit s’affaisser aussi pour ne plus se relever. »

« Un autre[3] :

«… Les glaces et les fenêtres de la maison du Pont-de-Fer furent brisées. Un homme qui se trouvait dans la cour était devenu fou de terreur. Les caves étaient pleines de femmes qui s’y étaient sauvées inutilement. Les soldats faisaient feu dans les boutiques et par les soupiraux des caves. De Tortoni au Gymnase, c’était comme cela. Cela dura plus d’une heure. »

vi.

« Bornons là ces extraits. Fermons cet appel lugubre. C’est assez pour les preuves.

« L’exécration du fait est patente. Cent autres témoignages que nous avons là sous les yeux répètent presque dans les mêmes termes les mêmes faits. Il est certain désormais, il est prouvé, il est hors de doute et de question, il est visible comme le soleil que, le jeudi 4 décembre 1851, la population inoffensive de Paris, la population non mêlée au combat, a été mitraillée sans sommation et massacrée dans un simple but d’intimidation, et qu’il n’y a pas d’autre sens à donner au mot mystérieux de M. Bonaparte :

« Qu’on exécute mes ordres. »

« Cette exécution dura jusqu’à la nuit tombante. Pendant plus d’une heure ce fut sur le boulevard comme une orgie de mousqueterie et d’artillerie. La canonnade et les feux de peloton se croisaient au hasard ; à un certain moment, les soldats s’entre-tuaient. La batterie du 6e régiment d’artillerie

  1. [Coppens]
  2. [Auguste Vié.]
  3. [Coppens.]