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s’ouvrir, un bras s’allonger et retirer avec précipitation le cadavre ou le moribond que les balles lui disputaient encore. »

« Un autre témoin rencontre encore la même image[1] :

»Les soldats embusqués au coin des rues attendaient les citoyens au passage comme des chasseurs guettant leur gibier, et, à mesure qu’ils les voyaient engagés dans la rue, ils tiraient sur eux comme sur une cible. De nombreux citoyens ont été tués de cette manière, rue du Sentier, rue Rougemont et rue et Faubourg-Poissonnière.

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« Partez, disaient les officiers aux citoyens inoffensifs qui leur demandaient protection. A cette parole ceux-ci s’éloignaient bien vite et avec confiance ; mais ce n’était là qu’un mot d’ordre qui signifiait : mort, et, en effet, à peine avaient-ils fait quelques pas qu’ils tombaient à la renverse. »

« Au moment où le feu commençait sur les boulevards, dit un autre témoin[2], un libraire voisin de la maison des tapis s’empressait de fermer sa devanture, lorsque des fuyards cherchant à entrer sont soupçonnés par la troupe ou la gendarmerie mobile, je ne sais laquelle, d’avoir fait feu sur elles. La troupe pénètre dans la maison du libraire. Le libraire veut faire des observations ; il est seul amené devant sa porte, et sa femme et sa fille n’ont que le temps de se jeter entre lui et les soldats qu’il tombait mort. La femme avait la cuisse traversée et la fille était sauvée par le busc de son corset. La femme, m’a-t-on dit, est devenue folle depuis. »

« Un autre témoin dit[3] :

«… Les soldats pénétrèrent dans les deux librairies qui sont entre la maison du Prophète et celle de M. Sallandrouze. Les meurtres commis sont avérés. On a égorgé les deux libraires sur le trottoir. Les autres personnes le furent dans les magasins. »

« Terminons par ces trois extraits, qu’on ne peut transcrire sans frissonner :

« Dans le premier quart d’heure de cette horreur, dit un témoin, le feu, un moment moins vif, laisse croire à quelques citoyens qui n’étaient que blessés qu’ils pouvaient se relever. Parmi les hommes gisant devant le Prophète, deux se soulevèrent. L’un prit la fuite par la rue du Sentier dont quelques mètres seulement le séparaient. Il y parvint au milieu des balles qui emportèrent sa casquette. Le second ne put que se mettre à genoux, et, les mains jointes, supplier les soldats de lui faire grâce ; mais il tomba à l’instant même fusillé. Le lendemain on pouvait remarquer, à côté du

  1. [H.Coste, rédacteur de l'Avènement du peuple]
  2. [Auguste Vié]
  3. [Coppens]