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Poissonière, à cent cinquante pas de la petite barricade-lunette du poste Bonne-Nouvelle. En mettant ces pièces en batterie, les soldats du train, peu accoutumés pourtant aux fausses manœuvres, brisèrent le timon d’un caisson. — Vous voyez bien qu’ils sont soûls ! cria un homme du peuple.

« À deux heures et demie, car il faut suivre minute à minute et pas à pas ce drame hideux, le feu s’ouvrit devant la barricade, mollement, et comme avec distraction. Il semblait que les chefs militaires eussent l’esprit à tout autre chose qu’à un combat. En effet, on va voir à quoi ils songeaient.

« Le premier coup de canon, mal ajusté, passa pardessus toutes les barricades. Le projectile alla tuer au Château-d’Eau un jeune garçon qui puisait de l’eau dans le bassin.

« Les boutiques s’étaient fermées, et presque toutes les fenêtres. Une croisée pourtant était restée ouverte à un étage supérieur de la maison qui fait l’angle du boulevard et de la rue du Sentier. Les curieux continuaient d’affluer principalement sur le trottoir méridional. C’était de la foule, et rien de plus, hommes, femmes, enfants et vieillards, à laquelle la barricade, peu attaquée, peu défendue, faisait l’effet de la petite guerre.

« Cette barricade était un spectacle en attendant qu’elle devint un prétexte. »

iv.

« Il y avait un quart d’heure environ que la troupe tiraillait et que la barricade ripostait sans qu’il y eût un blessé de part ni d’autre, quand tout à coup, comme par une commotion électrique, un mouvement extraordinaire et terrible se fit dans l’infanterie d’abord, puis dans la cavalerie. La troupe changea subitement de front.

« Les historiographes du coup d’État ont raconté qu’un coup de feu, dirigé contre les soldats, était parti de la fenêtre restée ouverte au coin de la rue du Sentier. D’autres ont dit du faîte de la maison qui fait l’angle de la rue Notre-Dame-de-Recouvrance et de la rue Poissonnière. Selon d’autres, le coup serait un coup de pistolet et aurait été tiré du toit de la haute maison qui marque le coin de la rue Mazagran. Ce coup est contesté, mais ce qui est incontestable, c’est que pour avoir tiré ce coup de pistolet problématique, qui n’est peut-être autre chose qu’une porte fermée avec bruit, un dentiste habitant la maison voisine a été fusillé. En somme, un coup de pistolet ou de fusil venant d’une des maisons du boulevard a-t-il été entendu ? est-ce vrai ? est-ce faux ? une foule de témoins nient.

« Si le coup de feu a été tiré, il reste à éclaircir une question : a-t-il été une cause ? ou a-t-il été un signal ?