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conté depuis ces détails, à l’honneur de l’impassibilité de son maître, — il informa le prince que les barricades dans les rues du centre tenaient bon et se multipliaient ; que sur les boulevards les cris : à bas le dictateur ! — (il n’osa dire : à bas Soulouque !) — et les sifflets éclataient partout au passage des troupes ; que devant la galerie Jouffroy un adjudant-major avait été poursuivi par la foule, et qu’au coin du café Cardinal un capitaine d’état-major avait été précipité de son cheval. Louis Bonaparte se souleva à demi de son fauteuil, et dit avec calme au général en le regardant fixement : — Eh bien ! qu’on dise à Saint-Arnaud d’exécuter mes ordres.

« Qu’était-ce que ces ordres ?

« On va le voir.

« Ici nous nous recueillons, et le narrateur pose la plume avec une sorte d’hésitation et d’angoisse. Nous abordons l’abominable péripétie de cette lugubre journée du 4, le fait monstrueux d’où est sorti tout sanglant le succès du coup d’État. Nous allons dévoiler la plus sinistre des préméditations de Louis Bonaparte ; nous allons révéler, dire, détailler, raconter ce que tous les historiographes du 2 décembre ont caché, ce que le général Magnan a soigneusement omis dans son rapport, ce qu’à Paris même, là où ces choses ont été vues, on ose à peine se chuchoter à l’oreille. Nous entrons dans l’horrible.

« Le 2 décembre est un crime couvert de nuit, un cercueil fermé et muet, des fentes duquel sortent des ruisseaux de sang.

« Nous allons entr’ouvrir ce cercueil. »

ii

« Dès le matin, car ici, insistons sur ce point, la préméditation est incontestable, dès le matin des affiches étranges avaient été collées à tous les coins de rue ; ces affiches, nous les avons transcrites, on se les rappelle. Depuis soixante ans que le canon des révolutions tonne à de certains jours dans Paris et qu’il arrive parfois au pouvoir menacé de recourir à des ressources désespérées, on n’avait encore rien vu de pareil. Ces affiches annonçaient aux citoyens que tous les attroupements, de quelque nature qu’ils fussent, seraient dispersés par la force sans sommation. À Paris, ville centrale de la civilisation, on croit difficilement qu’un homme aille à l’extrémité de son crime, et l’on n’avait vu dans ces affiches qu’un procédé d’intimidation hideux, sauvage, mais presque ridicule.

«On se trompait. Ces affiches contenaient en germe le plan même de Louis Bonaparte. Elles étaient sérieuses.