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l’enseignement. Il y a un paria dans notre France d’aujourd’hui, c’est le maître d’école.

Avez-vous jamais réfléchi à ce que c’est qu’un maître d’école, à cette magistrature où se réfugiaient les tyrans d’autrefois comme les criminels dans un temple, lieu d’asile ? avez-vous jamais songé à ce que c’est que l’homme qui enseigne les enfants du pauvre ? Vous entrez chez un charron, il fabrique des roues et des timons ; vous dites c’est un homme utile ; vous entrez chez un tisserand, il fabrique de la toile ; vous dites : c’est un homme précieux ; vous entrez chez un forgeron, il fabrique des pioches, des marteaux, des socs de charrue ; vous dites : c’est un homme nécessaire ; ces hommes, ces bons travailleurs, vous les saluez. Vous entrez chez un maître d’école, saluez plus bas ; savez-vous ce qu’il fait ? il fabrique des esprits.

Il est le charron, le tisserand et le forgeron de cette œuvre dans laquelle il aide Dieu : l’avenir.

Eh bien ! aujourd’hui, grâce au parti prêtre régnant, comme il ne faut pas que le maître d’école travaille à cet avenir, comme il faut que l’avenir soit fait d’ombre et d’abrutissement, et non d’intelligence et de clarté, voulez-vous savoir de quelle façon on fait fonctionner cet humble et grand magistrat, le maître d’école ? Le maître d’école sert la messe, chante au lutrin, sonne vêpres, range les chaises, renouvelle les bouquets devant le sacré cœur, fourbit les chandeliers de l’autel, époussette le tabernacle, plie les chapes et les chasubles, tient en ordre et en compte le linge de la sacristie, met de l’huile dans les lampes, bat le coussin du confessionnal, balaye l’église et un peu le presbytère ; le temps qui lui reste, il peut, à la condition de ne prononcer aucun de ces trois mots du démon, Patrie, République, Liberté, l’employer, si bon lui semble, à faire épeler l’A, B, C aux petits enfants.

M. Bonaparte frappe à la fois l’enseignement en haut et en bas ; en bas pour plaire aux curés, en haut pour plaire aux évêques. En même temps qu’il cherche à fermer l’école de village, il mutile le Collège de France. Il renverse d’un coup de pied les chaires de Quinet et de Michelet. Un beau matin, il déclare, par décret, suspectes les lettres grecques et latines, et interdit le plus qu’il peut aux intelligences le commerce des vieux poëtes et des vieux historiens d’Athènes et de Rome, flairant dans Eschyle et dans Tacite une vague odeur de démagogie. Il met d’un trait de plume les médecins, par exemple, hors l’enseignement littéraire, ce qui fait dire au docteur Serres : Nous voilà dispensés par décret de savoir lire et écrire.

Impôts nouveaux, impôts somptuaires, impôts vestiaires ; nemo audeat comedere præter duo fercula cum potagio ; impôt sur les vivants, impôt sur les morts, impôt sur les successions, impôt sur les voitures ; impôt sur le papier, bravo,