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iv
LES ASSOCIATIONS OUVRIÈRES NOUS DEMANDE UN ORDRE DE COMBAT.

En présence du fait de la barricade Saint-Antoine, si héroïquement construite par les représentants, si tristement délaissée par la population, les dernières illusions, les miennes, durent se dissiper. Baudin tué, le faubourg froid, cela parlait haut. C’était une démonstration suprême, évidente, absolue, de ce fait auquel je ne pouvais me résigner, l’inertie du peuple ; inertie déplorable, s’il comprenait, trahison de lui-même, s’il ne comprenait pas, neutralité fatale dans tous les cas, calamité dont la responsabilité, répétons-le, revenait, non au peuple, mais à ceux qui, en juin 1848, après lui avoir promis l’amnistie, la lui avaient refusée, et qui avaient déconcerté la grande âme du peuple de Paris en lui manquant de parole. Ce que la Constituante avait semé, la Législative le récoltait. Nous, innocents de la faute, nous en subissions le contrecoup.

L’étincelle que nous avions vue un instant courir dans la foule, Michel (de Bourges), du haut du balcon de Bonvalet, moi, au boulevard du Temple, cette étincelle semblait évanouie. Maigne d’abord, puis Brillier, puis Bruckner, plus tard Charamaule, Madier de Montjau, Bastide et Dulac vinrent nous rendre compte en détail de ce qui s’était passé à la barricade Saint-Antoine, des motifs qui avaient déterminé les représentants présents à ne pas attendre l’heure du rendez-vous fixé, et de la mort de Baudin. Le rapport que je fis moi-même de ce que j’avais vu, et que Cassal et Alexandre Rey complétèrent en y ajoutant des circonstances nouvelles, acheva de fixer la situation. Le comité ne pouvait plus hésiter ; je renonçais moi-même aux espérances que j’avais fondées sur une grande manifestation, sur une puissante réplique au coup d’État, sur une sorte de bataille rangée livrée par les gardiens de la République aux bandits de l’Élysée. Les faubourgs faisaient défaut ; nous avions le levier, le droit, mais la masse à soulever, le peuple, nous ne l’avions pas. Il n’y avait plus rien à espérer, comme ces deux grands orateurs, Michel (de Bourges) et Jules Favre, avec leur profond sens politique, l’avaient déclaré dès l’abord, que d’une lutte lente, longue, évitant les engagements décisifs, changeant de quartiers, tenant Paris en haleine, faisant dire à chacun : Ce n’est pas fini ; laissant aux résistances des départements le temps de se produire, mettant les troupes sur les dents, et dans laquelle le peuple parisien, qui ne respire pas longtemps la poudre